Correspondance de Voltaire/1765/Lettre 6180

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Correspondance : année 1765GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 134).

6180. — À M. LE MARQUIS DE VILLEVIEILLE[1].
À Ferney, 4 décembre.

Mes maladies, qui me persécutent, monsieur, quand l’hiver commence, et mes yeux, qui se couvrent d’écailles quand la neige arrive, ne m’ont pas permis de répondre aussitôt que je l’aurais souhaité à votre obligeante lettre. Mme Denis et Mme Dupuits sont aussi sensibles que moi à l’honneur de votre souvenir. Mme Dupuits s’est avisée d’accoucher à sept mois d’un petit garçon qui n’a vécu que deux heures : j’en ai été fâché, en qualité de grand-père honoraire ; mais ce qui me console, c’est qu’il a été baptisé. Il est vrai qu’il l’a été par une garde huguenote ; cela lui ôtera dans le paradis quelques degrés de gloire que père Adam lui aurait procurés.

Je ne suis point étonné, monsieur, que vous ayez de mauvais comédiens à Nancy ; on dit que ceux de Paris ne sont pas trop bons. Il est difficile de faire naître des talents, quand on les excommunie. Les Grecs, qui ont inventé l’art, avaient plus de politesse et de raison que nous.

Il me paraît que vous n’êtes pas plus content de la société des femmes que du jeu des comédiens ; le bon est rare partout en tout genre. Vous trouverez dans votre philosophie des ressources que le monde ne vous fournira guère. Si jamais le hasard vous ramène vers l’enceinte de nos montagnes, n’oubliez pas l’ermitage où l’on vous regrette.

Agréez les respects de V.

  1. Le marquis de Villevieille est mort à Paris le 11 mai 1825, dans un âge très-avancé. Le Journal de Paris des 10 et 14 juillet 1778 contient deux lettres sur la Zulime de Voltaire, qui portent la signature de Villevielle, mais qui passaient pour être de Condorcet. (B.)