Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6216

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Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 167-168).

6216. — À M. LE MARQUIS DE VILLETTE.
À Ferney, 4 janvier.

C’est vous, mon cher enfant, qui m’avez appris que de bons et braves citoyens de Paris avaient porté des chandelles à la statue de Henri IV, pour lui demander la guérison du dauphin. Je vous dois la réponse que je fais à ces bonnes gens[1]. Si j’avais été à Paris, je les aurais accompagnés ; mais, comme je ne veux point me brouiller avec les moines de Sainte-Geneviève, je vous demande en grâce, avec les instances les plus vives, de ne laisser prendre aucune copie de ces vers. Il est vrai que de la poésie allobroge, venant du pied du mont Jura, et du fond des glaces affreuses qui nous environnent, ne mérite guère la curiosité des gens de Paris ; mais le sujet est si intéressant qu’il peut tenter les moins curieux.

De plus, il m’est important de savoir ce qu’on pense de ces vers avant qu’on les publie. Je dois peut-être adoucir la préférence trop marquée que je donne à l’adorable Henri IV sur sainte Geneviève ; ma passion pour ce grand homme m’a peut-être emporté trop loin : je n’ai songé qu’aux bons Français en composant cet ouvrage tout d’une haleine, et je n’ai pas assez songé aux dévots qui peuvent trop songer à moi.

Recueillez les voix, je vous en prie, et instruisez-moi de ce qu’on dit, afin que je sache ce que je dois faire.

Vous m’appelez plaisamment votre protecteur, et moi, je vous appelle sérieusement le mien dans cette occasion.

Mon saint à moi, c’est Vincent de Paul, c’est le patron des fondateurs. Il a mérité l’apothéose de la part des philosophes comme des chrétiens. Il a laissé plus de monuments utiles que son souverain Louis XIII. Au milieu des guerres de la Fronde, il fut également respecté des deux partis. Lui seul eût été capable d’empêcher la Saint-Barthélemy. Il voulait que l’on cassât la cloche infernale de Saint-Germain-l’Auxerrois qui a sonné le tocsin du massacre. Il était si humble de cœur qu’il refusait aux jours solennels de porter les superbes ornements qu’avait donnés Médicis, bien différent de François de Sales, qui écrivait à Mme de Chantal : « Ma chère sœur, j’ai dit ce matin la messe avec la belle chasuble que vous m’avez brodée. »

  1. l’Êpître à Henri IV.