Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6253

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Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 203-204).

6253. — À M.  ÉLIE DE BEAUMONT.
Ferney, 1er février.

Je vous assure, monsieur, qu’un des beaux jours de ma vie a été celui où j’ai reçu le mémoire que vous avez daigné faire pour les Sirven. J’étais accablé de maux ; ils ont tous été suspendus. J’ai envoyé chercher le bon Sirven, je lui ai remis ces belles armes avec lesquelles vous défendez son innocence ; il les a baisées avec transport. J’ai peur qu’il n’en efface quelques lignes avec les larmes de douleur et de joie que cet événement lui fait répandre. Je lui ai confié votre mémoire et vos questions ; il signera, et fera signer par ses filles, la consultation ; il paraphera toutes les pages, ses filles les parapheront aussi ; il rapellera sa mémoire, autant qu’il pourra, pour répondre aux questions que vous daignez lui faire ; vous serez obéi en tout comme tous devez l’être. Il cherche actuellement des certificats ; j’ai écrit à Berne pour lui en procurer.

Permettez, monsieur, que je paye tous les avocats qui voudront recevoir les honoraires de la consultation. Je n’épargnerai ni dépenses ni soins pour vous seconder de loin dans les combats que vous livrez avec tant de courage en faveur de l’innocence. C’est rendre en effet service à la patrie que de détruire les soupçons de tant de parricides. Les huguenots de France sont à la vérité bien sots et bien fous, mais ce ne sont pas des monstres.

J’enverrai votre factum à tous les princes d’Allemagne qui ne sont pas bigots ; je vous demande en grâce de me laisser le soin de le faire tenir aux puissances du Nord ; j’ai l’ambition de vouloir être la première trompette de votre gloire à Pétersbourg et à Moscou.

Vous m’avez ordonné de vous dire mon avis sur quelques petits détails qui appartiennent plus à un académicien qu’à un orateur ; j’ai usé et peut-être abusé de cette liberté ; vous serez, comme de raison, le juge de ces remarques[1]. J’aurai l’honneur de vous les envoyer avec votre original ; mais, en attendant, il faut que je me livre au plaisir de vous dire combien votre ouvrage m’a paru excellent pour le fond et pour la forme. Cette consultation était bien plus difficile à faire que celle des Calas ; le sujet était moins tragique, l’objet de la requête moins favorable, les détails moins intéressants. Vous vous êtes tiré de toutes ces difficultés par un coup de l’art, vous avez su rendre cette cause celle de la nation et du roi même. Vos mémoires sur les Calas sont de beaux morceaux d’éloquence ; celui-ci est un effort du génie.

Je vois que vous avez envie de rejeter dans les notes quelques preuves et quelques réflexions de jurisprudence qui peuvent couper le fil historique et ralentir l’intérêt. Je vous exhorte à suivre cette idée ; votre ouvrage sera une belle oraison de Cicéron, avec des notes de la main de l’auteur.

J’attends Sirven avec grande impatience pour relire votre chef-d’œuvre, et ce ne sera pas sans enthousiasme. Si j’avais votre éloquence, je vous exprimerais tout ce que vous m’avez fait sentir.

  1. Ces remarques sont perdues.