Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6309

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Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 260-261).

6309. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
3 avril.

Jusques à quand abuserai-je des bontés de mes anges ? Voilà l’historien[1] de François Ier qui, de secrétaire d’un grand monarque, veut se faire secrétaire des pairs, et je ne sais où il demeure, et je crains de faire encore une méprise. Je prends donc la liberté de leur adresser ma lettre[2], et de les supplier de vouloir bien faire mettre l’adresse.

Mes anges connaissent plus de pairs que moi ; je puis à peine le servir ; ils pourront le protéger fortement, en cas qu’ils n’aient pas une autre personne à favoriser.

Je ne sais si je me trompe, mais je prévois que les citoyens de Genève pourront perdre leur cause au tribunal de la médiation. Il est bien difficile, de quelque manière qu’on s’y prenne, qu’il ne reste quelque aigreur dans les esprits. Je suis donc toujours pour ce que j’en ai dit. Je voudrais que la médiation se réservât le droit de juger les différends qui pourront survenir entre les corps de la république. J’ai peur que les médiateurs ne veuillent pas se charger de ce fardeau, fardeau pourtant bien léger et bien honorable. Ce serait, ce me semble, une manière assez sûre d’attacher les Genevois à la France, sans leur ôter leur liberté et leur indépendance. Je sais bien qu’on n’a pas affaire des Genevois ; mais les temps peuvent changer, on peut avoir des guerres vers l’Italie. Je serais fâché de penser autrement que monsieur l’ambassadeur, et je croirais avoir tort ; mais j’aime ma chimère, et je voudrais que M. le duc de Praslin l’aimât un peu aussi.

Dites-moi, je vous prie, mes divins anges, comment réussit l’Éloge de M. le dauphin, par M. Thomas. Il me paraît que de tous les ouvrages qu’on a faits sur ce triste sujet, le sien est celui qui inspire le plus de regrets sur la perte de ce prince.

Me sera-t-il encore permis de recourir à vos bontés, non-seulement pour une lettre de remerciements que je dois à M. Thomas[3], mais pour un petit paquet que M. d’Alembert attend ? Figurez-vous mon embarras : je ne sais l’adresse d’aucun de ces messieurs ; il faut pourtant leur écrire. Pardonnez donc mon importunité ; je prendrai dorénavant si bien mes mesures que je ne tomberai plus dans le même inconvénient.

Le petit ex-jésuite attend sa toile de Pénélope, qu’il défait et qu’il refait toujours ; mais songez que c’est pour vous plaire qu’il se plaît si peu à lui-même.

N. B. M. d’Alembert ne demeure plus rue Michel-le-Comte, comme on l’avait mis sur la lettre ; c’est, je crois, près de Belle-chasse. Encore une fois, pardon.

  1. G.-H. Gaillard ; voyez tome VII, page 244.
  2. Cette lettre à Gaillard est perdue.
  3. Cette lettre est perdue.