Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6362

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Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 305-306).
6362. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL[1].

L’idée de faire imprimer le tout par Cramer m’était venue par deux raisons : la première, que j’évitais le honteux désagrément de passer par les mains de la police, qui peut-être se serait rendue difficile sur l’histoire des proscriptions, depuis les vingt-trois mille Juifs égorgés pour un veau, jusqu’aux massacres commis par les Camisards des Cévennes. La seconde raison est que sur l’inspection d’une feuille imprimée, je corrige toujours vers et prose. Les caractères imprimés parlent aux yeux bien plus fortement qu’un manuscrit. On voit le péril bien plus clairement ; on y court, on fait de nouveaux efforts, on corrige, et c’est ma méthode.

Je renonce cependant à ma méthode favorite pour satisfaire un libraire de Paris[2], qui est un véritable homme de lettres, fort au-dessus de sa profession, et dont je veux me faire un ami.

M. le duc de Praslin vous aura sans doute envoyé tout le manuscrit avant que vous receviez ma lettre, et vous serez en état de juger en dernier ressort. Je vous supplie très-instamment de passer au petit ex-jésuite ces vers de Fulvie :


Après m’avoir offert un criminel amour,
Ce Protée à ma chaîne échappa sans retour.

(Acte I, scène i.)

J’ai eu dessein d’exprimer les débauches qui régnaient à Rome dans ces temps illustres et détestables ; c’est le fondement des principales remarques. Je veux couler à fond la réputation d’Auguste ; j’ai une dent contre lui depuis longtemps pour avoir eu l’insolence d’exiler Ovide, qui valait mieux que lui. Ouoi ! l’aimable Ovide exilé en Scythie ! Ah, le barbare ! Brutus, où étais-tu ?

Où êtes-vous, mes divins anges ? Il fait froid : que je me fourre sous vos ailes[3].

  1. Cette lettre ou ce fragment de lettre avait été jusqu’ici cousu à d’autres fragments, et placé à la fin de l’année 1765. (G. A.)
  2. Lacombe.
  3. Ce dernier alinéa n’appartient pas à cette lettre.