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Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6530

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Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 458-459).
6530. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
Au château de Ferney, 8 octobre.

Il n’y a point assurément de façon de pisser plus noble que celle de mon héros ; et le Cardinal de Tencin, chez qui vous pissâtes, n’aurait pas eu votre générosité. Votre jeune homme[1] est arrivé dans mon couvent ; je l’y ai fait moine sur-le-champ ; il aura des livres à sa disposition. J’ai un ex-jésuite[2] qui a professé vingt années, et qui pourra lui donner de bons conseils sur ses études, et diriger sa conduite. J’ai le bonheur d’avoir une espèce de secrétaire[3] qui a beaucoup de mérite, et avec lequel il passera son temps agréablement. Toute notre maison vit dans une union parfaite ; il ne tiendra qu’à lui d’y être aussi consolé qu’on peut l’être quand on n’a pas le bonheur de vous faire sa cour. Il m’a paru vif, mais bon enfant ; j’en aurai tous les soins que je dois à un jeune homme que vous protégez, et que vous daignez me recommander. S’il se tourne au bien, il n’aura d’obligation qu’à vos extrêmes bontés du bonheur de sa vie. C’est un enfant que le hasard vous a donné ; vous l’avez élevé et corrigé, et j’espère que vos bienfaits auront formé son cœur.

J’abuse de votre générosité, monseigneur. Puisqu’elle ne se dément point pour cet enfant, daignerez-vous l’employer pour une famille entière du pays que vous avez gouverné ? J’ai déjà pris la liberté d’implorer vos bontés pour les d’Espinas[4], gens de très-bon lieu, nés avec du bien, appartenant aux plus honnêtes gens du pays, et réduits à l’état le plus cruel, après vingt-trois ans de galères, pour avoir donné à souper à un prédicant. Si on ne leur rend pas leur bien, il vaudrait mieux les remettre aux galères.

Vous pouvez avoir égaré le mémoire que j’avais eu l’honneur de vous envoyer ; souffrez que je vous en présente un second[5]. Vous me demanderez de quoi je me mêle de solliciter toujours pour des huguenots ; c’est que je vois tous les jours ces infortunés, c’est que je vois des familles dispersées et sans pain, c’est que cent personnes viennent crier et pleurer chez moi, et qu’il est impossible de n’en être pas ému.

On dit que vous allez chercher à Vienne une future reine. Vous ressemblez en tout au duc de Bellegarde, à cela près qu’il ne prenait point d’îles, et qu’il n’imposait pas des lois aux Anglais.

Agréez mon respect et mon attachement, qui ne finiront qu’avec ma vie.

  1. Il s’appelait Claude Galien, et se conduisit si mal chez Voltaire que celui-ci le renvoya honnêtement en le plaçant chez M. Hennin, résident de France à Genève. Hennin fut obligé de chasser Galien, qui se faisait appeler Galien de Salmoran (voyez les lettres à Hennin, des 4 et 13 janvier 1768 ; à Richelieu, des 6 et 22 du même mois). Galien alla en Hollande, où il publia la Rhétorique d’un homme d’esprit, 1792, in-8o.
  2. Le Père Adam.
  3. Wagnière.
  4. Voyez ci-dessus, page 393.
  5. Affaires des religionnaires, Vivarais ; Intendance de Languedoc . Jean-Pierre Espinas, d’une honnête famille de Château-Neuf, paroisse de Saint-Félix, près de Vernons en Vivarais, ayant été vingt-trois ans aux galères pour avoir donné à souper et à coucher dans sa maison à un ministre de la religion prétendue réformée, et ayant obtenu sa délivrance par brevet du 23 de janvier 1763, se trouvant chargé d’une femme mourante et de trois enfants réduits à la mendicité, remontre très-humblement à Sa Majesté que son bien ayant été confisqué pendant vingt-six ans, à condition que la troisième partie en serait distraite pour l’entretien de ses enfants, jamais lesdits enfants n’ont joui de cette grâce. Il conjure Sa Majesté de daigner lui accorder la possession de son patrimoine, pour soulager sa vieillesse et sa famille. (Note de Voltaire.)