Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6564
J’ai l’honneur, monsieur, de vous renvoyer les lettres originales du tres-original Jean-Jacques[1]. Ne pensez-vous pas qu’il serait convenable que je demandasse à M. le duc de Choiseul la permission de faire imprimer l’extrait de ces lettres, et de mettre au bas : Par ordre exprès du ministère de France ? Ne serait-ce pas en effet un opprobre pour ce ministère qu’un homme tel que Jean-Jacques Rousseau eût été secrétaire d’ambassade ? Les aventures de d’Éon, de Vergy, de Jean-Jacques, sont si déshonorantes qu’il ne faut pas ajouter à ces indignités le ridicule d’avoir eu un Rousseau pour secrétaire nommé par le roi. Je m’en rapporte à Son Excellence. J’ose me flatter qu’il pensera comme vous et comme moi sur cette petite affaire, et je vous supplie de m’envoyer ses ordres et les vôtres. J’écris à M. le duc de Choiseul ; il n’est pas juste que Jean-Jacques passe pour avoir été une espèce de ministre de France, après avoir dit dans son Contrat insocial, page 163 : « Que ceux qui parviennent dans les monarchies ne sont[2] que de petits brouillons, de petits intrigants, à qui les petits talents qui font parvenir aux grandes places ne servent qu’à montrer leur ineptie aussitôt qu’ils y sont parvenus. »
Je ne sais si monsieur l’ambassadeur pourrait en dire un mot dans sa dépêche ; je m’en remets à sa prudence, à ses bontés, et à la bienveillance dont il daigne m’honorer.
Par ma foi, monsieur, vous aurez de ma part du respect autant que d’amitié : mais je vous demande en grâce de ne vous plus servir de ces formules qui blessent le cœur, et un cœur qui est à vous.