Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6579
Divins anges, vous vous y attendiez bien ; voici des corrections que je vous supplie de faire porter sur le manuscrit.
Maman Denis et un des acteurs[1] de notre petit théâtre de Ferney, fou du tripot, et difficile, disent qu’il n’y a plus rien à faire, que tout dépendra du jeu des comédiens ; qu’ils doivent jouer les Scythes comme ils ont joué le Philosophe sans le savoir[2], et que les Scythes doivent faire le plus grand effet, si les acteurs ne jouent ni froidement ni à contre-sens.
Maman Denis et mon vieux comédien de Ferney assurent qu’il n’y a pas un seul rôle dans la pièce qui ne puisse faire valoir son homme. Le contraste qui anime la pièce d’un bout à l’autre doit servir la déclamation, et prête beaucoup au jeu muet, aux attitudes théâtrales, à toutes les expressions d’un tableau vivant. Voyez, mes anges, ce que vous en pensez ; c’est vous qui êtes les juges souverains.
Je tiens qu’il faut donner cette pièce sur-le-champ, et en voici la raison. Il n’y a point d’ouvrage nouveau sur des matières très-délicates qu’on ne m’impute ; les livres de cette espèce pleuvent de tous côtés. Je serai infailliblement la victime de la calomnie si je ne prouve l’alibi. C’est un bon alibi qu’une tragédie. On dit : Voyez ce pauvre vieillard ! peut-il faire à la fois cinq actes, et cela, et cela encore ? Les honnêtes gens alors crient à l’imposture.
Je vous supplie, ô anges bienfaiteurs ! de montrer la lettre ci-jointe[3] à M. le duc de Praslin, ou de lui en dire la substance. Il sera très-utile qu’il ordonne à un de ses secrétaires ou premiers commis d’encourager fortement M. du Clairon à découvrir quel est le polisson qui a envoyé de Paris aux empoisonneurs de Hollande son venin contre toute la cour, contre les ministres, et contre le roi même, et qui fait passer sa drogue sous mon nom[4].
Voici la destination que je fais, selon vos ordres, des rôles pour l’académie royale du Théâtre-Français.
Ô anges ! je n’ai jamais tant été au bout de vos ailes.
N. B. Il y a pourtant dans la Lettre au docteur Pansophe des longueurs et des répétitions. Elle est certainement de l’abbé Coyer.
N. B. Voulez-vous mettre mon gros neveu, l’abbé Mignot, du secret ?