Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6590

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Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 511-513).
6590. — À M. L’ABBÉ MORELLET.
26 novembre.

Je vais chercher, monsieur, les deux petites curiosités[1] que vous désirez avoir, et elles vous parviendront par votre ami[2], à qui j’envoie cette lettre, et à qui je demande comment il faut s’y prendre. Je ne crois point que ces bagatelles doivent de droits aux fermiers généraux ; mais il est toujours bon de prendre toutes ses précautions, et de ne pas s’exposer à des avanies.

Il est vrai, monsieur, que ce serait une grande consolation pour moi de former des élèves qui soutinssent le seul véritable théâtre qu’on ait en Europe. En vérité, j’ai besoin de consolation. Les choses que vous me mandez, celles que je sais d’ailleurs, et certains événements publics, font frémir le bon sens, et déchirent le cœur. Si j’étais plus jeune, si je pouvais me transplanter, si ceux qui sont capables de rendre les plus grands services à la raison humaine avaient du courage, je sais bien quel parti il y aurait à prendre. Mais il faudrait se voir ; et puis-je encore me flatter que vous ferez un voyage à Lyon pendant ma vie, et que je pourrai vous parler à cœur ouvert ?

Il n’était pas possible que vous prissiez le parti de Rousseau dès que vous l’avez connu. Non-seulement c’est un fou, mais c’est un monstre. M. Tronchin a la preuve en main qu’il ne m’avait écrit une lettre insolente[3] que pour m’engager dans une querelle sur la comédie, et pour soulever contre moi les prédicants et le peuple de Genève. Je n’ai pas été sa dupe. Ce pauvre fou a trop d’orgueil pour être adroit. Il est méchant, mais il n’est pas dangereux : c’est un grand malheur, je l’avoue, qu’un homme qui pouvait servir en ait été si indigne ; mais il n’aurait pu être utile qu’avec un meilleur cœur et un meilleur esprit. Aimons toujours, monsieur, les lettres, qu’il déshonore, et qu’on persécute. Vous ferez plus de bien que Jean-Jacques n’a fait de mal. Continuez-moi vos bontés. Combattons sous le même étendard, sans tambour et sans trompette. Encouragez vos alliés, et que les traités soient secrets ; comptez sur ma tendre et respectueuse amitié.

Votre très-humble et très-obéissant serviteur.

Miso-Priest[4].

La Lettre au docteur Pansophe n’est point de moi ; elle est de l’abbé Coyer ; je voudrais l’avoir faite.

  1. Probablement la Lettre à M. Hume, et les Notes (voyez tome XXVI, pages 29 et 35.
  2. Helvétius, à qui Morellet avait précédemment apporté une lettre de Voltaire.
  3. Voyez lettre 6585.
  4. Ennemi des prêtres.