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Correspondance de Voltaire/1766/Lettre 6605

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Correspondance : année 1766GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 44 (p. 526-527).

6605. — À M. LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC.
8 décembre.

Je vous renvoie, monsieur le marquis, votre Lettre à M. le comte de Périgord[1], que vous avez bien voulu me communiquer. J’en ai tiré une copie, selon la permission que vous m’en donnez. Cette lettre est bien digne d’une âme aussi noble et aussi généreuse que la vôtre. Elle est simple, et c’est le seul style qui convienne à la vérité, quand on écrit à ses amis. Tous les faits que vous rapportez sont incontestables. Je ne doute pas que M. le comte de Périgord ne trouve fort bon que vous lui adressiez cette lettre, et que vous la rendiez publique. Pour moi, je vous avoue que je n’affecte point avec vous une fausse modestie, et que je vous ai une très-grande obligation.

Le livre du jésuite Nonotte[2] vient d’être réimprimé sous le titre d’Amsterdam : mais l’édition est d’Avignon. Les partisans des prétentions ultramontaines soutiennent ce livre ; mais ces prétentions ultramontaines, qui offensent nos rois et nos parlements, n’ont pas un grand crédit chez la nation. C’est servir la Religion et l’État que d’abandonner les systèmes jésuitiques à leurs ridicules.

Votre lettre à M. le comte de Périgord m’a tellement échauffé la tête et le cœur que je vous ai répondu en vers par une Ode[3] dont voici une strophe :

Qu’il est beau, généreux d’Argence,
Qu’il est digne de ton grand cœur,
De venger la faible innocence
Des traits du calomniateur !

Souvent l’Amitié chancelante
Resserre sa pitié prudente ;
Son cœur glacé n’ose s’ouvrir ;
Son zèle est réduit à tout craindre :
Il est cent amis pour nous plaindre,
Et pas un pour nous secourir.

Voici encore une strophe de celle Ode :

Imitons les mœurs héroïques
De ce ministre des combats[4],
Qui de nos chevaliers antiques
À le cœur, la tête, et le bras ;
Qui pense et parle avec courage,
Qui de la fortune volage
Dédaigne les dons passagers ;
Qui foule aux pieds la Calomnie,
Et qui sait mépriser l’Envie
Comme il méprisa les dangers.

Je crois que M. le duc de Choiseul ne sera pas mécontent de ces derniers vers. Il daigne toujours m’aimer ; il m’honore quelquefois d’un mot de sa main.

J’aurai l’honneur de vous envoyer l’ode entière dès qu’elle sera mise au net, et je la ferai imprimer à la suite de votre lettre. Je serai enchanté de joindre votre éloge à celui de M. de Choiseul : cela paraîtra en même temps que le mémoire des Sirven, dont les avocats ne manqueront pas de vous envoyer quelques exemplaires. Vous pourrez faire publier votre lettre et l’ode à Bordeaux, pendant que je la publierai à Genève. Je voudrais que vous eussiez la bonté de m’envoyer tous vos titres et ceux de M. le comte de Périgord, pour les placer à la tête.

J’attends vos ordres, et j’ai l’honneur d’être avec les sentiments les plus tendres et les plus respectueux, monsieur, votre, etc.

  1. Le comte de Périgord, prince de Chalais, depuis 1753, gouverneur du haut et bas Berry. Cet le lettre devait être relative aux affaires des Calas et des Sirven. Voltaire en reparle dans la lettre à d’Alembert du 4 juin 1769 : la distance entre cette dernière lettre et celle à d’Argence de Dirac me paraît bien grande. (B.)
  2. Les Erreurs de M. de Voltaire.
  3. L’Ode à la Vérité ; voyez tome VIII.
  4. Le duc de Choiseul, ministre de la guerre.