Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6649

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6649. — DE M.  L’ABBÉ D’OLIVET[1].
Paris, 3 janvier 1767.

Bonjour, mon illustre confrère, bon jour et bon an. N’est-ce pas ainsi que nos anciens Gaulois s’écrivaient à pareil jour ? Et pourquoi changerions-nous de style ? Mais savez-vous dans votre pays que nous avons ici un froid qui rappelle l’idée de 709 ? Il me rappelle de plus, à moi, une autre idée. C’est qu’alors nous grelottions au coin d’un méchant feu, et qu’aujourd’hui nous nous tenons au coin d’un bon feu. Alors vous étiez mon disciple, et aujourd’hui je suis le votre. Alors je vous aimais, et vous ne me haïssiez pas. À cet égard, rien de changé, au moins de ma part, et je serais tenté de répondre aussi pour vous. Je voudrais pouvoir également répondre de votre santé comme de la mienne. Je me porte à un rien près comme en 709. Je bois assez bien, je mange de même, je dors encore mieux[2]. Que je serais charmé si vous m’en pouviez dire autant ! Mais il n’y a pas d’année qu’on ne vienne cinq ou six fois me tenir des propos qui ne vous font pas le même honneur. Allons, mon ancien et cher ami, sacrifions tout à notre santé, dont la gaieté est la cause ou l’effet. Que les d’Alembert et les Mairan décident lequel c’est des deux. Peu m’importe, pourvu que j’en jouisse. Les hommes, j’ai vécu assez pour les connaître, les hommes vaudraient-ils la peine que je perdisse un moment pour eux ? Qu’est-ce que la gloire qui me viendra d’eux ? Moins que rien, par rapport à mon bonheur. Qu’est-ce que les chagrins dont ils me menacent, si je veux obtenir la gloire ? C’est quelque chose de réel, et qui, grâce à ma faiblesse, peut m’empêcher d’être heureux. Je ma vie, ante focum, si frigus erit, avec Virgile, un Térence, un Molière, un Voltaire, et les six mois prochains, si messis, in horto, aux Tuileries, dont je suis à quatre pas.

Voulez-vous bien faire mille et mille complaisances de ma part à Mme  Denis ? Et pour vous montrer que je me souviens encore du Pro Marcello, je vous dirai : Unde est orsa, in eodem terminetur oratio. Bonjour et bon an.

L’abbé d’Olivet.

Je vais porter ceci à notre féal d’Argental.

  1. Dernier Volume des Œuvres de Voltaire, 1862.
  2. L’abbé d’Olivet était né en 1682, et mourut en 1768, le 8 octobre. Il avait quatre-vingt-cinq ans lorsqu’il écrivit cette lettre.