Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6672

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6672. — À M. LE CHEVALIER DE BEAUTEVILLE.
À Ferney, 13 janvier.

Monsieur, Votre Excellence va être bien étonnée, et va prendre ceci pour une plaisanterie fort indiscrète ; mais comme je suis un peu embarrassé avec mes banquiers de Genève, tant par leur argot de change inintelligible que par leur agio trop intelligible, je suis obligé d’avoir recours à votre protection ; je suis un pauvre Scythe qui implore les bontés d’un ambassadeur persan.

La lettre de change ci-jointe vous dira de quoi il est question. Si vous daignez engager monsieur le trésorier des Suisses à faire tenir cette lettre de changea Montbéliard, elle sera acceptée sans difficulté, et j’espère venir prendre cet argent chez monsieur le trésorier quand je serai assez heureux pour sortir de mon lit, et pour venir vous faire ma cour dans votre royaume. Il est bien vrai que nous n’avons point eu aujourd’hui de bœuf pour faire du bouillon. Nous manquons de tout ; les Genevois mangent de bonnes poulardes de Savoie ; on s’imagine les avoir punis, et c’est nous que l’on punit. Le mal tombe surtout sur notre maison. Je prends la liberté grande de dire à M. le duc de Choiseul qu’il a le diable au corps ; mais interea patitur justus.

Si je ne connaissais pas votre extrême bonté, je n’aurais pas tant d’effronterie.

Au reste, je vous réponds que je ne jouerai pas mes deux cents louis au pharaon, comme le chevalier de Boufflers ; mais aussi il ne m’est pas permis, à mon âge, d’être aussi plaisant que lui.

Permettez-moi de dire les choses les plus tendres à M. le chevalier de Taulès, et daignez agréer l’attachement inviolable et le profond respect avec lequel j’ai l’honneur d’être de Votre Excellence le très-humble et très-obéissant serviteur.

Voltaire.