Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6703

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 74-75).
6703. — DE M. HENNIN.
Genève, 30 janvier.

Je vous répéterai, monsieur, ce que j’ai eu l’honneur de vous dire, que j’étais dans la ferme persuasion que vous ne manquiez de rien, votre commissionnaire ayant la permission de venir à Genève, et pouvant en exporter vos provisions comme à l’ordinaire. Un mot de M. le chevalier de Jaucourt aurait abrégé toutes les difficultés, et, de mon côté, j’aurais fait tout ce qui était en moi pour diminuer l’embarras dans lequel vous vous trouviez.

Vos provisions arrêtées en venant de Lyon, si elles vous sont adressées directement, doivent vous parvenir sans difficulté ; autrement on irait contre les intentions du roi, qui n’a pas pu vouloir que ses sujets, habitant en France, n’eussent pas la liberté des chemins. Si elles étaient adressées à des Genevois, vous vous trouvez comme tous les étrangers, comme moi-même, dans le cas où une chaussée se rompt, et où rien ne peut passer.

Je n’examine point ce qu’on a pu espérer de l’interdiction des vivres pour Genève, et je ne crois pas même que cet objet puisse opérer un grand effet pour le présent ; mais ce n’est pas à nous à le dire, surtout dans ce moment.

Voici les deux passe-ports que vous me demandez ; le commissionnaire a déjà le sien, ou une permission qui y équivaut. Je la renouvellerai, s’il est nécessaire.

Vous me priez, monsieur, d’envoyer votre lettre à la cour. Je suis trop votre ami, et je connais trop la façon de penser de M. le duc de Choiseul pour le faire. Vous pouvez être sûr qu’elle ne ferait rien changer aux dépositions générales ; et puisque M. le chevalier de Jaucourt et moi nous nous prêtons volontiers pour vous à toutes les exceptions possibles, je vous demande en grâce de vous en contenter. Tout ce qui vient de Genève, ou qui y a rapport, est mal reçu dans ce moment-ci. Croyez-m’en ; gardez aussi votre mémoire[1] pour des temps plus heureux.

Les représentants viennent de faire une démarche qui pourra diminuer l’aigreur qu’on a contre eux. C’est un orage passager dont vous souffrez, et qui m’accable. Tâchons, autant qu’il est possible, de le dissiper. De votre côté, je vous proteste que vous y contribuerez en ne portant point au ministre des plaintes sur les mesures qu’il a cru devoir mettre en usage pour amener ce peuple à la raison.

Je vous parle avec franchise, parce que je le dois à tous égards. Vous ne doutez pas, du moins je m’en flatte, que je m’occupe de faire tout pour le mieux. Jugez si je désire que ce qui se passe ici n’altère en rien votre bonheur.

Il y a apparence, monsieur, que j’aurai l’honneur de vous voir ces jours‑ci ; je pourrai vous en dire davantage sur des affaires auxquelles vous prenez intérêt. Recevez, en attendant, les assurances du tendre attachement que je vous ai voué pour la vie.

P. S. Dans le moment où je finis cette lettre, monsieur, je reçois la vôtre de ce matin, qui me fait un très-grand plaisir. Tout finit, comme vous voyez, et le meilleur est de s’inquiéter le moins possible de ce qui est hors de nous. Je vous envoie néanmoins les deux passe-ports, parce que, pour la règle, il faudra que tous ceux de vos gens qui viendront à Genève en aient.

  1. Celui dont Voltaire parle dans la lettre 6700.