Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6782

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 150-151).
6782. — À M. LE MARQUIS DE FLORIAN.
Le 4 mars.

Grand Turc, grand écuyer persan, cadi, et vous, grande écuyère[1], tombe sur vous la rosée du ciel, et soit votre rosier toujours fleuri ! Qui a donc fait la chanson de Molé[2] ? Elle est naïve et plaisante. N’en fera-t-on point sur la Sorbonne, qui persécute si sottement Marmontel ?

Les Gilly m’ont fait pis ; leur banqueroute est forte. Je serai fort obligé à monsieur le cadi s’il fait agir vigoureusement le procureur boiteux dans mon affaire contre des Normands.

Mme Denis et moi remercions le Grand Turc de la mainlevée. Mahomet favorise ses bons serviteurs. J’aurai bientôt, je crois, une plus grande obligation aux maîtres des requêtes. Vous avez vu sans doute le mémoire de M. de Beaumont : il faudrait avoir une âme de bronze pour ne pas accorder une évocation aux Sirven. En vérité, il s’agit dans cette affaire de l’honneur de la France ; il est trop honteux de se faire continuellement un jeu d’une accusation de parricide. Mon cher grand écuyer y est surtout intéressé pour l’honneur de son Languedoc. Pour moi, je m’intéresse plus aux Sirven qu’aux Scythes : je n’avais fait cette pièce que pour mon petit théâtre et pour mes chers Genevois, qui y sont un peu houspillés. M. et Mme de La Harpe la jouent très-bien ; elle nous fait un très-grand effet. Les changements que les anges nous proposent nous paraissent absolument impraticables : ce serait nous couper la gorge. Il faut donner la pièce telle qu’elle est, avec ses défauts ; mais il ne la faut donner que quand Mlle Durancy sera sûre de son rôle, et qu’elle aura appris à répandre et à retenir des larmes, et quand les deux vieillards sauront imiter la nature, ce qui est aussi rare dans ce tripot que dans celui de Nicolet.

Si le grand écuyer et le Grand Turc veulent se donner le plaisir des répétitions, ils feront un grand plaisir au Scythe, qui les embrasse de tout son cœur.

Il leur enverra incessamment la Guerre de Genève[3], dès qu’il en aura fait faire une copie. Cela peut amuser quelques moments ceux qui connaissent les masques.

  1. L’abbé Mignot, le marquis de Florian, d’Hornoy, son beau-fils, et la marquise de Florian, mère de ce dernier.
  2. Cette chanson, qui commence par ce vers :
    Quel est ce gentil animal, etc.


    est de Boufflers

  3. Voyez ce poëme, tome IX.