Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6881
Mon âge commence à désespérer, mon cher confrère, de venir cum penatibus et magnis diis[1]. Il m’arrive des dérangements dans ma fortune qui pourront bien me faire rester dans ma Scythie.
Il y a près de cinq mois qu’on m’avait mandé, des frontières d’Espagne, que beaucoup de moines avaient eu part à la révolte générale qui devait se manifester le même jour dans toutes les provinces. Je n’en croyais rien, et me voilà désabusé. On n’a chassé que les jésuites :
Mais à tous penaillons Dieu doint pareille joie[2].
Voici une Lettre sur les Panégyriques[3], laquelle n’est pas le panégyrique des moines.
Connaissez-vous l’Anecdote sur Bélisaire ? Si vous ne l’avez pas, je vous l’enverrai ; et, tant que je serai près de Genève, je me charge de vous fournir toutes les nouveautés : vous n’avez qu’à parler.
Je crois que vous jugez très-bien M. Thomas, en lui accordant de grandes idées et de grandes expressions.
Vous m’affligez en m’apprenant qu’il y a tant de sots et de méchants à Lyon. C’est la destinée de toutes les grandes villes ; mais je crois qu’il y a plus de justes qu’il n’y en avait à Sodome. Il y a du moins trois fois plus de philosophes. Je vous nommerais bien quinze personnes qui pensent comme vous et moi. Il me semble que la lumière s’étend de tous côtés ; mais les initiés ne communiquent pas assez entre eux : ils sont tièdes, et le zèle du fanatisme est toujours ardent.
L’anecdote qu’on vous a contée sur ce malheureux Jean-Jacques est très-vraie : ce misérable a laissé mourir ses enfants à l’hôpital, malgré la pitié d’une personne compatissante qui voulait les secourir. Comptez que Rousseau est un monstre d’orgueil, de bassesse, d’atrocité, et de contradictions.