Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6881

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 257-258).
6881. — À M. BORDES.
13 mai.

Mon âge commence à désespérer, mon cher confrère, de venir cum penatibus et magnis diis[1]. Il m’arrive des dérangements dans ma fortune qui pourront bien me faire rester dans ma Scythie.

Il y a près de cinq mois qu’on m’avait mandé, des frontières d’Espagne, que beaucoup de moines avaient eu part à la révolte générale qui devait se manifester le même jour dans toutes les provinces. Je n’en croyais rien, et me voilà désabusé. On n’a chassé que les jésuites :

Mais à tous penaillons Dieu doint pareille joie[2].

Voici une Lettre sur les Panégyriques[3], laquelle n’est pas le panégyrique des moines.

Connaissez-vous l’Anecdote sur Bélisaire ? Si vous ne l’avez pas, je vous l’enverrai ; et, tant que je serai près de Genève, je me charge de vous fournir toutes les nouveautés : vous n’avez qu’à parler.

Je crois que vous jugez très-bien M. Thomas, en lui accordant de grandes idées et de grandes expressions.

Vous m’affligez en m’apprenant qu’il y a tant de sots et de méchants à Lyon. C’est la destinée de toutes les grandes villes ; mais je crois qu’il y a plus de justes qu’il n’y en avait à Sodome. Il y a du moins trois fois plus de philosophes. Je vous nommerais bien quinze personnes qui pensent comme vous et moi. Il me semble que la lumière s’étend de tous côtés ; mais les initiés ne communiquent pas assez entre eux : ils sont tièdes, et le zèle du fanatisme est toujours ardent.

L’anecdote qu’on vous a contée sur ce malheureux Jean-Jacques est très-vraie : ce misérable a laissé mourir ses enfants à l’hôpital, malgré la pitié d’une personne compatissante qui voulait les secourir. Comptez que Rousseau est un monstre d’orgueil, de bassesse, d’atrocité, et de contradictions.

  1. Æneid., III, 12.
  2. La Fontaine a dit dans son conte du Diable en enfer (vers dernier)

    À tous époux Dieu doint pareille joie !

    Penaillons est aussi un mot de La Fontaine pour désigner les moines.
  3. Voyez tome XXVI, page 307.