Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6891

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 270-271).
6891. — À M. DE BELLOY.
À Ferney, le 21 mai.

J’ai eu la hardiesse, monsieur, de me faire acteur dans ma soixante-quatorzième année. Des jeunes gens et des jeunes femmes ont corrompu ma vieillesse. Je n’ai pas soutenu la fatigue aussi bien qu’eux, et j’en ai été malade. C’est ce qui a retardé un peu les tendres et sincères remerciements que vous doit un cœur pénétré de votre mérite et de la beauté de votre âme.

Nous voilà, ce me semble, parvenus à imiter les Grecs, chez qui les auteurs jouaient eux-mêmes leurs pièces. M. de Chabanon et M. de La Harpe récitent des vers aussi bien qu’ils en font, et Mme de La Harpe a un talent dont je n’ai encore vu le modèle que dans Mlle Clairon.

Enfin, par un concours singulier, la perfection de la déclamation s’est trouvée dans nos déserts. Mais, ce qui fait encore plus d’honneur à la littérature, c’est l’exemple que vous donnez ; c’est l’amitié que vous me témoignez du sein de vos triomphes ; ce sont vos beaux vers[1] qui viennent au secours de ma muse languissante.

Les neuf Muses sont sœurs, et les Beaux-Arts sont frères.
Les neufQuelque peu de malignité
À dérangé parfois cette fraternité ;
La famille en souffrit, et des mains étrangères
Les neufDe ces débats ont profité.
C’est dans son union qu’est son grand avantage :
Alors elle en impose aux pédants, aux bigots ;
Les neufElle devient l’effroi des sots,
La lumière du siècle, et le soutien du sage.
Elle ne flatte point les riches et les grands :
Les neufCeux qui dédaignaient son encens
Les neufSe font honneur de son suffrage,
Les neufEt les rois sont ses courtisans.

J’ai grande opinion du chevalier Bayard[2]. C’est un beau

sujet. Je ne suis que le poëte de l’Amérique et de la Chine, et vous êtes celui des Français. Recevez, monsieur, les témoignages les plus vrais de ma reconnaissance.

  1. Les Vers de de Belloy à Voltaire Sur la première représentation des Scythes sont dans le Mercure de juin 1767.
  2. La tragédie de Gaston et Bayard, par de Belloy, jouée deux fois à Versailles en février 1770, et imprimée la même année, ne fut représentée à Paris que le 24 avril 1771.