Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6918

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 295-296).
6918. — DU CARDINAL DE BERNIS.
À Alby, ce 22 juin.

J’ai lu avec intérêt, mon cher confrère, le mémoire des Sirven. Je souhaite de tout mon cœur que justice leur soit rendue, et que leurs malheurs soient réparés. Ô combien l’ignorance et les passions ont sacrifié de victimes, et combien cette partie de l’histoire du genre humain humilie les esprits éclairés et afflige les âmes sensibles ! Ces sacrifices sanglants, répétés d’âge en âge et dans tous les pays, ne doivent pas nous rendre misanthropes, mais nous exciter à la bienfaisance. Les belles âmes se croient chargées de réparer toutes les injustices exercées par le plus fort sur le plus faible. J’aime en vous, de préférence même à vos talents, que j’admire, ce penchant qui vous porte à protéger le faible et à secourir l’opprimé. Vos belles actions, en ce genre, dureront autant que vos ouvrages : on ne pourra pas dire que vous ayez cru que la vertu n’était qu’une chimère. Mais on dit que vous vous êtes amusé à faire dans notre langue la Secchia rapita[1]. Si cela est assez grave pour moi, faites-m’en part. J’attends vos Scythes mieux imprimés. J’aime toujours les lettres ; elles m’ont fait plus de bien que je ne leur ai fait d’honneur. Mille entraves m’ont empêché de m’y livrer entièrement ; rien ne m’empêchera de les honorer, de les chérir, ni d’admirer ni d’aimer de tout mon cœur celui qui, dans notre siècle, les a cultivées avec tant de supériorité. Vale.

  1. Le Tassoni a place dans l’invocation en tête de la Guerre civile de Genève ; voyez tome IX.