Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6970

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 341-342).
6970. — À M. DAMILAVILLE.
8 auguste.

Je vous ai obligation, mon cher ami, de m’avoir fait connaître jusqu’où un Coger pouvait porter l’insolence. M. Capperonnier vient de m’écrire une lettre dans laquelle il donne un démenti formel à ce maraud. Il est bon de répandre parmi les sages et les gens de bien la turpitude des méchants. Cette turpitude est bien punissable. Il n’est pas permis de prendre le nom de Dieu en vain[1]. Je vous l’avais bien dit qu’il fallait passer sa vie à combattre. Un homme de lettres, pour peu qu’il ait de réputation, est un Hercule qui combat des hydres. Prêtez-moi votre massue, j’ai plus de courage que de force. Si j’avais de la santé, tous ces drôles-là verraient beau jeu.

M. le prince de Gallitzin me mande que le livre intitulé l’Ordre essentiel et naturel des sociétés politiques[2] est fort au-dessus de Montesquieu. N’est-ce pas le livre que vous m’avez dit ne rien valoir du tout ? Le titre m’en déplaît fort. Il y a longtemps qu’on ne m’a envoyé de bons livres de Paris.

J’ai fait chercher l’ingénu, dont vous me parlez ; on ne le connaît point. Il est très-triste qu’on m’impute tous les jours non-seulement des ouvrages que je n’ai point faits, mais aussi des écrits qui n’existent point. Je sais que bien des gens parlent de l’Ingénu ; et tout ce que je puis répondre très-ingénument, c’est que je ne l’ai point vu encore. Je vous embrasse bien tendrement.

J’ai lu le plaidoyer de Loyseau contre Berne, par-devant l’Europe. Le cas est singulier. Ce Loyseau veut se faire de la réputation, à quelque prix que ce soit ; mais je crois qu’on s’intéressera fort peu à cette affaire dans Paris.

  1. Deutéronome, v, 11.
  2. Par Mercier de La Rivière. (K.) — Cet ouvrage parut en 1767, deux volumes in-12 ou un volume in-4°. La Rivière, invité à venir en Russie, arriva à Pétersbourg pendant une absence de l’impératrice, et, croyant qu’il allait être premier ministre, se pressa de louer trois maisons contiguës, où il fit toutes les dispositions ou distributions des appartements dans cette idée. Il commençait déjà l’organisation des bureaux ; l’arrivée de l’impératrice le tira de ces rêves. Toutefois l’impératrice de Russie le dédommagea convenablement de ses dépenses. « Nous nous séparâmes contents, » dit l’impératrice à M. de Ségur ; voyez Mémoires ou Souvenirs de Ségur, 1826, in-8°, III, 40.