Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 6980

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 349-350).
6980. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
14 auguste 1767, à Ferney.

Madame, je suis pénétré jusqu’au fond du cœur des lettres dont Votre Altesse sérénissime m’honore. Vos bontés devraient sans doute bannir de mon esprit toute idée d’un La Beaumelle. S’il n’était question que de moi, je n’y penserais pas ; mais daignez songer, madame, que je dois répondre au tribunal de l’Europe des vérités que j’ai dites dans le Siècle de Louis XIV, siècle heureux, où toute la branche Ernestine, dont vous êtes aujourd’hui l’ornement, était la meilleure alliée de la France. Je trahirais lâchement mon devoir si je laissais subsister les calomnies que La Beaumelle réimprime contre presque tous ceux qui ont illustré ce beau siècle.

Je sais que Votre Altesse sérénissime est trop instruite et trop juste pour se laisser séduire par ces impostures ; mais combien de lecteurs, madame, ne sont ni justes ni éclairés ! Considérez, madame, qu’il n’y a pas une seule cour qui ne s’empresse de réfuter, dans les papiers publics, les mensonges des gazettes. Ces combats durent quelquefois des mois entiers. Voudriez-vous ravir aux particuliers le droit de se défendre ? Non, sans doute, et ce n’est pas même comme simple particulier que je dois agir, mais comme un homme qui a été chargé de la cause publique. Je dirai plus encore. Votre Altesse sérénissime sait avec quelle insolence La Beaumelle a parlé de votre auguste maison. Voudriez-vous que je l’oubliasse, parce que vous lui pardonnez ? Je ne le puis, madame. La vérité ne pardonne point ; mais elle ne punit qu’en se montrant. C’est par sa lumière qu’elle confond ceux qui veulent l’obscurcir.

Les princes auxquels ce misérable a jeté de la boue feront ce que leur grandeur et leur clémence pourront leur dicter ; mais, pour moi, je suis trop petit pour ne me pas défendre.

La reconnaissance que je dois à toutes vos bontés, madame, est le sentiment le plus profond qui m’occupe. Vous êtes ma protectrice et ma consolation. Je suis également dévoué à la vérité et à Votre Altesse sérénissime, avec le plus profond respect et la plus vive reconnaissance.

Votre vieux Suisse.

  1. Éditeurs, Bavoux et François.