Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 7008

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 370-371).
7008. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
À Ferney, 9 septembre.

Rendez à César ce qui appartient à César[1].

J’avoue, monseigneur, que l’impertinence[2] est extrême. S’il sait si bien l’histoire, il doit savoir que le secrétaire d’État Villeroy écrivait monseigneur aux maréchaux de France.

Incessamment Galien pourra vous écrire avec la même noblesse de style, dès qu’il aura fait une petite fortune. Je ne manquerai pas d’exécuter vos ordres. Vous savez peut-être qu’en qualité de Français je ne puis aller à Genève : cela est défendu ; mais on viendra chez moi, et je parlerai comme je le dois. De plus, je suis dans mon lit, où une fièvre lente retient ma figure usée et languissante.

Je présume que vous donnerez l’ordre d’achever le payement de ce que doit Galien, après quoi vous serez probablement débarrassé de ce petit fardeau. Je joins ici les mémoires. Vos paquets sont francs, et ce n’est point une indiscrétion de ma part.

Quant à l’article des spectacles, j’ose espérer que vous aurez la bonté d’entrer dans mes peines. Je ne connais aucun des acteurs, excepté Mlle Dumesnil et Lekain. La petite Durancy avait joué chez moi aux Délices, à l’âge de quatorze ans ; je ne lui ai donné quelques rôles que sur la réputation qu’elle s’est faite depuis. J’ai fait un partage assez égal entre elle et Mlle Dubois. Il me paraît que ce partage entretient une émulation nécessaire Si Mlle Durancy ne réussit pas, les rôles reviennent nécessairement aux actrices qui sont plus au goût du public, et vos ordres décident de tout. Le pauvre d’Argental a été bien loin de pouvoir se mêler dans ces tracasseries ; il a été longtemps malade, et sa femme a été un mois entier à la mort. M. de Thibouville, qui a beaucoup de talent pour la déclamation, n’a fait autre chose qu’assister à quelques répétitions. Il est mon ami depuis trente ans, et celui de ma nièce. Vous ne voulez pas nous priver de cette consolation, surtout dans le triste état où la vieillesse et la maladie me réduisent.

Daignez agréer mon respect et mon attachement avec votre bonté ordinaire.

  1. Matthieu, xxii, 21.
  2. M. Hennin, sur l’adresse d’une lettre pour le maréchal de Richelieu, avait mis : À monsieur le maréchal de Richelieu. Celui-ci, qui tenait beaucoup au monseigneur, en voulut longtemps à Hennin, malgré les explications qui furent données ; voyez la note 2 de la page 342.