Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 7024

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 384-385).
7024. — À M. COLINI.
À Ferney, 28 septembre.

Mon cher ami, votre Dissertation sur le cartel[1] offert par l’électeur palatin au vicomte de Turenne m’arrivera fort à propos. On a déjà entamé une nouvelle édition du Siècle de Louis XIV. Je profiterai de votre pyrrhonisme, pour peu que je le trouve fondé : car vous savez que je l’aime, et que je me défie des anecdotes répétées par mille historiens. Il est vrai que vous êtes obligé d’avoir prodigieusement raison, car vous avez contre vous l’Histoire de Turenne par Ramsai, le président Hénault, et tous les mémoires du temps.

Ayez la bonté de m’envoyer sur-le-champ votre ouvrage. Voici comme on peut s’y prendre. Vous n’auriez qu’à l’envoyer à Lyon, tout ouvert, à M. Tabareau, directeur des postes, avec un petit mot de lettre. Vous auriez la bonté de lui écrire que, sachant qu’il lit beaucoup, et qu’il se forme une bibliothèque, vous lui envoyez votre ouvrage comme à un bon juge et à mon ami ; que vous le priez de me le prêter après l’avoir lu, en attendant que je puisse en avoir un exemplaire à ma disposition.

Voilà, mon cher ami, les expédients auxquels les impôts horribles mis sur les lettres me forcent d’avoir recours. Si, pour plus de sûreté, pendant que vous enverrez ce paquet par la poste à M. Tabareau, à Lyon, vous voulez m’en envoyer un autre par les chariots qui vont à Schaffhausen et dans le reste de la Suisse, il n’y a qu’à adresser ce paquet à mon nom à Genève, je vous serai très-obligé. Comptez que j’ai la plus grande impatience de lire votre dissertation ; mettez-moi aux pieds de Leurs Altesses électorales. Si je pouvais me tenir sur les miens, je serais allé à Schwetzingen, tout vieux et tout malade que je suis ; mais il y a trois ans que je ne suis sorti de chez moi.

Mme Denis ne cesse de donner des fêtes, et moi je reste dans mon lit : je dicte, ne pouvant écrire ; mais ce que je dicte de plus vrai, c’est que je vous aime de tout mon cœur.

  1. Voyez lettre 7051.