Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 7032

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7032. — À M. LE MARQUIS D’ARGENCE DE DIRAC.
À Ferney, 1er octobre.

Par votre lettre du 20 de septembre, mon cher philosophe militaire, vous m’apprenez que MM. de Broglie s’imaginent que je ne leur suis pas attaché : cela prouve que ni MM. de Broglie ni vous n’avez jamais lu le Pauvre Diable ; il a pourtant été imprimé bien souvent. Vous y auriez trouvé ces vers-ci, lesquels sont adressés à un pauvre diable qui voulait faire la campagne :

Du duc Broglie osez suivre les pas :
Sage en projets, et vif dans les combats,

Il a transmis sa valeur aux soldats ;
Il va venger les malheurs de la France :
Sous ses drapeaux marchez dès aujourd’hui,
Et méritez d’être aperçu de lui.

Pour moi, je suis un pauvre diable environné actuellement du régiment de Conti, dont trois compagnies sont logées à Ferney. Si elles étaient venues il y a dix ans, elles auraient couché à la belle étoile. Je fais ce que je peux pour que les officiers et les soldats soient contents ; mais mon âge et mes maladies ne me permettent pas de faire les honneurs de mon ermitage comme je le voudrais. Je ne me mets plus à table avec personne. J’achève ma carrière tout doucement ; et, quand je la finirai, vous perdrez un serviteur aussi attaché qu’inutile.