Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 7062

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Correspondance : année 1767GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 425-427).
7062. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
6 novembre.

Vraiment, mon divin ange, je ne savais pas que vous eussiez enterré votre médecin[1]. Je ne sais rien de si ridicule qu’un médecin qui ne meurt pas de vieillesse ; et je ne conçois guère comment on attend sa santé de gens qui ne savent pas se guérir : cependant il est bon de leur demander quelquefois conseil, pourvu qu’on ne les croie pas aveuglément. Mais comment pouvez-vous prendre les mêmes remèdes, Mme d’Argental et vous, puisque vous n’avez pas la même maladie ? C’est une énigme pour moi. Tout ce que je puis faire, c’est de lever les mains au ciel, et de le prier de vous accorder une vie très-longue, très-saine, avec très-peu de médecins.

J’avais déjà écrit un petit mot[2] à M. de Thibouville pour vous être montré. Votre lettre du 28 d’octobre ne m’a été rendue qu’après. Vous ne doutez pas que je ne sois bien curieux de voir ma lettre à la belle Mlle Dubois. Vous avez vu les raisons que j’ai de me tenir un peu clos et couvert jusqu’à ce que j’aie reçu des nouvelles de M. le maréchal de Richelieu. Il me semble qu’il y a dans cette affaire je ne sais quelle conspiration pour m’embarrasser et se moquer de moi. Mais comment M. le duc de Duras n’a-t-il pas eu la curiosité de voir cette lettre, qui est devenue la pomme de discorde chez les déesses du tripot ? Rien n’est, ce me semble, si facile ; tout serait alors tiré au clair, sans que des personnes qui peuvent beaucoup me nuire eussent le moindre prétexte contre moi.

Je vous avouerai grossièrement, mon cher ange, que je me trouve dans une situation bien gênante, et que je crains l’éclat d’une brouillerie qui me mettrait dans l’alternative de perdre une partie de mon bien, ou de le redemander par les voies du monde les plus tristes, et peut-être les plus inutiles. On me mande des choses si extraordinaires que je ne sais plus où j’en suis ; ma santé d’ailleurs est absolument ruinée. Je dois plutôt songer à vivre que songer à la singulière tracasserie qu’on m’a faite. Je n’ose même écrire à Lekain, de peur de l’exposer.

Vous verrez incessamment M. de Chabanon et M. de La Harpe. J’ai donné une lettre à M. de La Harpe pour vous.

Adieu, mon divin ange ; maman[3] et moi nous nous mettons au bout de vos ailes plus que jamais.

Vous savez quel est pour vous mon culte d’hyperdulie.

  1. Il s’appelait Fournier.
  2. Il manque.
  3. Mme Denis.