Correspondance de Voltaire/1767/Lettre 7089

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7089. — À M. PEACOCK,
ci-devant fermier général du roi de patna.
À Ferney, 8 décembre.

Je ne saurais, monsieur, vous remercier en anglais, parce que ma vieillesse et mes maladies me privent absolument de la facilité d’écrire. Je dicte donc en français mes très-sincères remerciements sur le livre instructif que vous avez bien voulu m’envoyer. Vous m’avez confirmé de vive voix une partie des choses que l’auteur dit sur l’Inde, sur ses coutumes antiques, conservées jusqu’à nos jours ; sur ses livres, les plus anciens qu’il y ait dans le monde ; sur les sciences, dont les brachmanes ont été les dépositaires ; sur leur religion emblématique, qui semble être l’origine de toutes les autres religions. Il y a longtemps que je pensais, et que j’ai même écrit, une partie des vérités que ce savant auteur développe. Je possède une copie d’un ancien manuscrit qui est un commentaire du Veidam, fait incontestablement avant l’invasion d’Alexandre. J’ai envoyé à la Bibliothèque royale de Paris l’original de la traduction[1] faite par un brame, correspondant de notre pauvre compagnie des Indes, qui sait très-bien le français.

Je n’ai point de honte, monsieur, de vous supplier de me gratifier de tout ce que vous pourrez retrouver d’instructions sur ce beau pays où les Zoroastre, les Pythagore, les Apollonius de Tyane, ont voyagé comme vous.

J’avoue que ce peuple, dont nous tenons les échecs, le trictrac, les théorèmes fondamentaux de la géométrie, est malheureusement d’une superstition qui effraye la nature ; mais, avec cet horrible et honteux fanatisme, il est vertueux : ce qui prouve bien que les superstitions les plus insensées ne peuvent étouffer la voix de la raison, car la raison vient de Dieu, et la superstition vient des hommes, qui ne peuvent anéantir ce que Dieu a fait.

J’ai l’honneur d’être, monsieur, avec une très-vive reconnaissance, etc.

  1. Voyez une lettre du 13 juillet 1761 ; et les notes, tome XVIII, page 32 : tome XXVI, page 392 ; et tome XXIX, page 109.