Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7202

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Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 45 (p. 552-553).
7202. — À M. LE PRÉSIDENT DE RUFFEY[1].
7 mars 1768, à Ferney.

Vous verrez, mon cher président, selon toutes les apparences, Mme Denis le même jour que vous recevrez ma lettre. Elle va à Paris pour les affaires les plus pressantes[2] ; et elle prend son chemin par Dijon, avec la petite (sic) du grand Corneille dans l’espérance d’y voir le président de l’Académie. J’aurais bien voulu être du voyage, mais il m’est impossible de quitter le coin de mon feu.

Je suis fâché qu’on ait pu penser à Dijon que je sois l’auteur de la mauvaise épigramme contre Piron au sujet d’une épigramme encore plus mauvaise que ce fou de Piron avait faite contre Bélisaire ; ceux qui combattent ainsi devraient combattre au moins à visage découvert et ne point charger les autres de leurs sottises. Il n’est ni vrai ni plaisant de dire :

Que les vers durs vont tous en paradis.

Ce vers est même presque aussi dur que ceux de Piron. Le goût est rare dans ce monde.

Je vous parlerai de la terre de Tournay[3] au retour de Mme Denis. En attendant, j’embrasse mon cher président avec les sentiments les plus respectueux et les plus tendres. V.

  1. Éditeur, Th. Foisset.
  2. Wagnière, secrétaire de Voltaire, dit que Mme Denis fut chassée par son oncle (Mémoires, II, 269). Cette séparation fit événement à Paris. Voyez Grimm, Correspondance. Mme Denis revint à Ferney, à la fin d’octobre 1769 (lettre de Voltaire à d’Alembert, 28 octobre) et ne quitta cette résidence qu’avec son oncle en 1778. (Th. F.)
  3. Il paraît que Voltaire avait eu sérieusement la pensée de faire vendre Ferney à Mme Denis, sous le nom de laquelle il l’avait acheté, et de se retirer à Tournay, acheté sous son propre nom. Il eut même une velléité nouvelle d’acquérir la pleine propriété de Tournay, d’abord pour sa nièce, ensuite pour lui-même après l’avoir renvoyée à Paris. Ce dernier point résulte de nombreuses lettres des agents d’affaires du président de Brosses dans le pays de Gex. (Th. F.)