Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7236

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Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 17-18).
7236. — À M. CHARDON.
À Ferney, 11 avril.

Il faut, monsieur, que je vous parle avec la plus grande confiance, et très-ouvertement, quoique par la poste. Je n’ai pas assurément la moindre part à la plaisanterie au gros sel intitulée le Catéchumène[1]. Il y a des choses assez joliment tournées ; mais je serais fâché de l’avoir faite, soit pour le fond, soit pour la forme. Ce Catèchumène est tout étonné de voir un temple : il demande pourquoi ce temple a des portes, et pourquoi ces portes ont des serrures. D’où vient-il donc ? quelle est la nation policée sur la terre qui n’ait pas de temple, et quel temple est sans portes ? Je me flatte que vous ne me croirez pas capable d’une pareille ineptie.

La Hollande est infectée, depuis quelques années, de plusieurs moines défroqués[2], capucins, cordeliers, mathurins, que Marc-Michel Rey, d’Amsterdam, fait travailler à tant la feuille, et qui écrivent tant qu’ils peuvent contre la religion romaine pour avoir du pain. Il y a surtout un nommé Maubert qui a inondé l’Europe de brochures dans ce goût. C’est lui qui a fait le petit livre des Trois Imposteurs[3], ouvrage assez insipide, que Marc-Michel Rey donne impudemment pour une traduction du prétendu livre de l’empereur Frédéric II.

Il y a un théatin[4] qui a conservé son nom de du Laurens, qui est assez facétieux, et qui d’ailleurs est fort instruit. Il est auteur du Compère Matthieu, ouvrage dans le goût de Rabelais, dont le commencement est assez plaisant, et la fin détestable.

Les libraires qui débitent tous ces livres me font l’honneur de me les attribuer pour les mieux vendre. Je paye bien cher les intérêts de ma petite réputation. Non-seulement on m’impute ces ouvrages, mais quelques gazettes même les annoncent sous mon nom. Ce brigandage est intolérable, et peut avoir des suites funestes. Vous savez qu’il y a des gens à la cour qui ont plus de mauvaise volonté que de goût ; vous savez combien il est aisé de nuire : il n’est pas juste qu’à l’âge de soixante-quatorze ans ma vieillesse, accablée de maladies, le soit encore par des calomnies si cruelles.

Je compte assez sur l’amitié dont vous m’honorez pour être sûr que vous détruirez, autant qu’il est en vous, ces bruits odieux.

M. Damilaville, mon ami, pour qui vous avez de la bienveillance, vous certifiera que le Catéchumène n’est point de moi ; et quand vous serez parfaitement instruit de l’injustice qu’on me fait, vous en aurez plus de courage pour la réfuter.

Je ne perds point de vue les commissions que vous avez bien voulu me donner : elles seront faites avec tout l’empressement que j’ai de vous plaire ; ma mauvaise santé ne m’a pas encore permis de sortir, mais dès que j’aurai un peu plus de forces, mon premier devoir sera de vous obéir. J’ai l’honneur d’être[5], etc.

  1. Cet ouvrage est de Bordes.
  2. Du Laurens, Maubert de Gouvest, etc., s’étaient retirés en Hollande.
  3. Voyez tome X. page 402, une note de l’Épître à l’auteur du livre des Trois Imposteurs.
  4. Du Laurens avait été mathurin.
  5. Il y a ici, dans Beuchot, une lettre à M. ***, qui n’est autre que celle adressée à Thibouville, que nous avons donnée au No 7223.