Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7252

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7252. — À M. L’ÉVÈQUE D’ANNECY.
29 avril.

Monseigneur, votre seconde lettre[1] m’étonne encore plus que la première. Je ne sais quels faux rapports ont pu m’attirer tant d’aigreur de votre part. On soupçonne beaucoup un nommé Ancian, curé du village de Moëns, qui eut un procès criminel au parlement de Dijon en 1761, procès dans lequel je lui rendis service, en portant les parties qui le poursuivaient à se contenter d’un dédommagement de quinze cents livres, et du payement des frais. On prétend que l’official de Gex se plaint de ce que les citoyens contre lesquels il plaide pour les dîmes se sont adressés à moi. Il est vrai qu’ils m’ont demandé mes bons offices ; mais je ne me suis point mêlé de cette affaire, attendu que l’Église étant mineure, il est malheureusement difficile d’accommoder un tel procès à l’amiable. J’ai transigé avec mon curé dans un cas à peu près semblable ; mais c’est en lui donnant beaucoup plus qu’il ne demandait : ainsi je ne puis le soupçonner de m’avoir calomnié auprès de vous. Pour les autres procès entre mes voisins, je les ai tous assoupis : je ne vois donc pas que j’aie donné lieu à personne, dans le pays de Gex, de vous écrire contre moi.

Je sais que tout Genève accuse l’aumônier de la résidence[2], dont j’ignore le nom, d’écrire de tous côtés, de semer partout la calomnie ; mais à Dieu ne plaise que je lui impute de faire un métier si infâme, sans avoir les preuves les plus convaincantes ! Il vaut mieux mille fois se taire et souffrir que de troubler la paix par des plaintes hasardées. Mais, en établissant cette paix précieuse dans mon voisinage, j’ai cru, depuis longtemps, devoir me la procurer à moi-même.

Messieurs les syndics des états du pays, les curés de mes terres, un juge civil, un supérieur de maison religieuse, étant un jour chez moi, et étant indignés des calomnies qu’on croyait alors répandues par le curé Ancian, pour prix de l’avoir tiré des mains de la justice, me signèrent un certificat qui détruisait ces impostures[3].

J’ai l’honneur de vous envoyer cette pièce authentique, conforme à l’original. J’en envoie une autre copie à monsieur le premier président du parlement de Bourgogne, et à monsieur le procureur général, afin de prévenir l’effet des manœuvres qui auraient pu surprendre votre candeur et votre équité. Vous verrez combien il est faux que les devoirs dont il est question n’aie ni été remplis que cette année. Vous serez indigné, sans doute, qu’on ait osé vous en imposer si grossièrement.

Je pardonne de tout mon cœur à ceux qui ont osé ourdir cette trame odieuse. Je me borne à les empêcher de nuire, sans vouloir leur nuire jamais : et je vous réponds bien que la paix, qui est mon perpétuel objet, n’en sera point altérée dans mes terres.

Les bagatelles littéraires n’ont aucun rapport avec les devoirs du citoyen et du chrétien ; les belles-lettres ne sont qu’un amusement. La bienfaisance, la piété solide et non superstitieuse, l’amour du prochain, la résignation à Dieu, doivent être les principales occupations de tout homme qui pense sérieusement. Je tâche, autant que je puis, de remplir toutes ces obligations dans ma retraite, que je rends tous les jours plus profonde. Mais ma faiblesse répondant mal à mes efforts, je m’anéantis encore une fois, avec vous, devant la Providence divine, sachant qu’on n’apporte devant Dieu que trois choses qui ne peuvent entrer dans son immensité, notre néant, nos fautes, et notre repentir.

Je me recommande à vos prières autant qu’à votre équité.

J’ai l’honneur d’être avec respect, etc.


    refusé ses secours à aucun des habitants du voisinage. Requis de rendre ce témoignage, nous le donnons comme la plus exacte vérité.

    Signé : Gros, curé ; Sauvage du Verny, syndic de la noblesse ; Fabry, premier syndic général et subdélégué de l’intendance ; Christin, avocat ; David, prieur des carmes ; Adam, prêtre ; et Fournier, curé

  1. No 7247.
  2. Celui dont il est parlé page 25.
  3. Copie authentique de l’attestation des états du pays de Gex, signée par le notaire Raffoz, le 28 avril 1763, contrôlée à Gex le même jour, signé Lachaux.

    Nous soussignés certifions que M. de Voltaire, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, seigneur de Ferney et Tournay, au pays de Gex, près de Genève, a non-seulement rempli les devoirs de la religion catholique dans la paroisse de Ferney, où il réside, mais qu’il a l’ait bâtir et orner l’église à ses dépens ; qu’il a entretenu un maître d’école, qu’il a défriché a ses frais les terres incultes de plusieurs habitants, a mis ceux qui n’avaient point de charrue en état d’en avoir, leur a bâti des maisons, leur a concédé des terrains ; et que Ferney est aujourd’hui plus peuplé du double qu’il ne l’était avant qu’il en prit possession ; qu’il n’a