Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7255

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7255. — DE M. L’ÉVÈQUE D’ANNECY[1].
Annecy, 2 mai.

Monsieur, vous attribuez donc à l’aigreur ce qui n’est, au vrai, de ma part, que l’effet du zèle dont je dois être animé pour tout ce qui intéresse le salut des âmes et l’honneur de la religion dans mon diocèse. Cette considération m’aurait interdit toute ultérieure réplique, si je n’avais cru devoir encore celle-ci à la justification des personnes que vous taxez de vous avoir calomnié auprès de moi. M. Ancian, M. le doyen de Gex, M. l’aumônier de la résidence, ne m’ont pas plus parlé de vous que de tous les autres ; et lorsque l’occasion s’en est présentée, ils m’en ont dit bien moins que ce que j’en avais appris par la voix du public. Ce n’est point à leurs rapports que vous devez attribuer le fondement des justes représentations que j’ai été dans le cas de vous faire en qualité d’évêque et de pasteur.

Vous connaissez les ouvrages qu’on vous attribue, vous savez ce que l’on pense de vous dans toutes les parties de L’Europe ; vous n’ignorez pas que presque tous les incrédules de notre siècle se glorifient de vous avoir pour leur chef, et d’avoir puisé dans vos écrits les principes de leur irréligion : c’est donc au monde entier et à vous-même, et non pas à quelques particuliers, que vous devez vous en prendre de ce que l’on vous impute. Si ce sont des calomnies, ainsi que vous le prétendez, il faut vous en justifier, et détromper ce même public qui en est imbu. Il n’est pas difficile à qui est véritablement chrétien d’esprit et de cœur de faire connaître qu’il l’est ; il ne se croit pas permis d’en démentir la qualité dans les amusements que vous appelez bagatelles littéraires. Il montre sa foi par ses œuvres[2], il produit ses sentiments, soit dans ses écrits, soit dans sa conduite, d’une façon qui rend à la religion l’hommage qui lui est dû ; il ne se flatte pas d’en avoir rempli les devoirs pour en avoir fait quelques exercices, une fois ou deux chaque année, dans l’église de sa paroisse, ni même pour avoir fait, dans une longue suite d’années, une ou deux communions dont le public a été plus scandalisé qu’édifié.

Je vous laisse après cela, monsieur, à juger ce que vous aurez à faire. Des occupations pressantes ne me permettent pas d’en dire davantage, et probablement je n’aurai rien à vous dire de plus, jusqu’à ce qu’un retour de votre part, tel que je le souhaite, me mette à même de vous convaincre de la droiture de mes intentions, et de la sincérité du désir de votre salut, qui sera toujours inséparable du respect avec lequel j’ai l’honneur d’être, etc.

  1. Voyez lettre 7234.
  2. Êpître de saint Jacques, ii, 18.