Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7274

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 54-55).
7274. — À M. CAPPERONNIER[1].
1er juin.

J’ai bientôt fait usage, monsieur, du livre de la Bibliothèque royale que vous avez eu la bonté de me prêter. Il a été d’un grand secours à un pauvre feu historiographe de France tel que moi. Je voulais savoir si ce Montecucullo, que nous appelons mal à propos Montecuculli, accusé par des médecins ignorants d’avoir empoisonné le dauphin François, parce qu’il était chimiste, fut condamné par le parlement ou par des commissaires ; ce que les historiens ne nous apprennent pas. Il se trouve qu’il fut condamné par le conseil du roi. J’en suis fâché pour François Ier ; la vérité est longtemps cachée ; il faut bien des peines pour la découvrir. Vous ne sauriez croire ce qu’il me coûte de soins pour la chercher à cent lieues dans le Siècle de Louis XIV et de Louis XV. Ce travail est rude. Il y a trois ans qu’il m’occupe et qu’il me tue, sans presque aucune diversion. Enfin il est fini. Jugez, monsieur, si je peux avoir eu le temps de faire toutes les maudites brochures qu’on débite continuellement sous mon nom. Je suis l’homme qui accoucha d’un œuf ; il en avait pondu cent avant la fin de la journée. Les nouvellistes de Paris ne sont pas si scrupuleux en fait d’historiettes que je le suis en fait d’histoire. Ils en débitent souvent sur mon compte, non-seulement de très-extraordinaires, mais de très-dangereuses ; c’est la destinée de quiconque a le malheur d’être un homme public. On souhaite d’être ignoré, mais c’est quand il n’est plus temps. Dès que les trompettes de la Renommée ont corné le nom d’un pauvre homme, adieu son repos pour jamais.

J’ai l’honneur d’être avec la plus sensible reconnaissance pour toutes vos bontés, monsieur, etc.

  1. Jean-Augustin Capperonnier, né à Montdidier le 2 mars 1745, employé dès 1765 a la Bibliothèque du roi dont son oncle était bibliothécaire, mort le 16 novembre 1820.