Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7294
Mon ancien ami, mon philosophe, mon faiseur de beaux vers, je vous remercie tendrement de votre Beverley[1]. Le solitaire des Alpes vous a l’obligation d’avoir été ému pendant une grande heure, il n’est pas ordinaire d’être touché si longtemps. De l’intérêt, de la vigueur, une foule de beaux vers : voilà votre ouvrage. Je n’ai point lu le Beverley anglais, mais je ferais la gageure imprévues[2] qu’il n’y a que de l’atrocité.
Au reste, j’ai été fort étonné que Mme Beverley ait reçu cent mille écus de Cadix : car, pour moi, je viens d’y perdre vingt mille écus, grâce à messieurs Gilly, que probablement vous ne connaissez point.
Oui, sans doute, multæ sunt mansiones in domo patris nostri[3], et vous n’êtes pas mal logé. Je voudrais bien savoir ce qu’a dit ce maraud de Fréron, qui demeure dans la cave.
Savez-vous la petite espèce d’épigramme qu’un Lyonnais, lequel est bien loin d’être poëte, a faite, comme par inspiration, en feuilletant le Tacite de La Bletterie ? Il était en colère de ne pouvoir lire le latin, qui est imprimé en pieds de mouche, et de ne lire que trop bien la traduction française. Voici les vers qu’il fit sur-le-champ :
Un pédant dont je tais le nom[4],
En inlisible caractère
Imprime un auteur qu’on révère,
Tandis que sa traduction
Aux yeux, du moins, a de quoi plaire.
Le public est d’opinion
Qu’il eût dû faire
Tout le contraire.
Cela m’a paru naïf. Cet hypocrite insolent de La Bletterie est berné en province comme à Paris.
Que le bon Dieu bénisse ainsi tous les apostats qui sont trop orgueilleux ! Car cela n’est pas bien d’être fier.