Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7314

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Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 96-97).
7314. — À M. MARIN.
À Ferney, le 19 auguste.

J’ai été un peu à la mort, mon cher monsieur : un petit tour de broche de plus, on aurait dit : Il est mort, mais cela n’est rien ; sans cela je vous aurais bien remercié sur-le-champ de la petite réponse de M. Linguet au modeste La Bletterie[1]. M. Linguet me paraît un Français plein d’esprit, et La Bletterie, un Welche assez impertinent. Il prétend que j’ai oublié de me faire enterrer ; c’est ce que je n’oublie point du tout, car je me suis fait bâtir un petit tombeau, fort propre, de bonne pierre de roche, qui d’ailleurs est d’une simplicité convenable ; mais, comme il faut toujours être poli, je dis au sieur de La Bletterie :

Que mes Je ne prétends point oublier
Que mes œuvres et moi nous avons peu de vie ;
Mais je suis très-poli, je dis à La Blettrie :
Que mes « Ah ! monsieur, passez le premier ! »

On dit que la mortalité est fort grande sur les ouvrages nouveaux ; mais, Dieu merci, nous avons un bon Mercure. Ce monsieur Lacombe est un homme qui a beaucoup d’esprit ; son prédécesseur[2] était un bœuf, qui, dit-on, labourait fort mal sa terre. Je vous souhaite prospérité, santé, argent, et plaisir. Je vous aime une fois plus depuis que je sais que vous avez été visiter les saints lieux.

J’ai vu un petit livret[3] où il me paraît prouvé que notre saint-père le pape n’a nul droit de suzeraineté sur le royaume de Naples.

Non nostrum inter vos tantas componere lites.

(Virg., ecl. iii, v. 108.)

  1. Lettre sur la nouvelle traduction de Tacite, par M. l’abbé de La Bletterie, avec un petit recueil de phrases élégantes tirées de la même traduction, pour l’usage de ses écoliers, 1768, in-12.
  2. La Place, à qui est adressée la lettre 4582.
  3. Les Droits des hommes et les Usurpations des papes, tome XXVII, page 193.