Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7297

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Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 74-75).
7297. — À M. DE CHABANON.
4 juillet, par Lyon et Versoy.

Je devrais déjà, mon cher confrère, vous avoir parlé d’Hiéron, de Rhodien Diagoras, et de tous les beaux écarts de votre protégé Pindare. Je vois, Dieu merci, qu’il en était de ce temps-là comme du nôtre : on se plaignait de l’envie en Grèce, on s’en plaignait à Rome, et je m’en moque quelquefois en France ; mais ce qui me fait plus de plaisir, c’est que je vois dans vos vers énergie et harmonie. Ce n’est pas assez, mon cher ami, pour la muse tragique :

Non satis est pulchra esse poemata ; dulcia sunto,
Et quocumque volent animum auditoris agunto.

(Hor., de Arte poet., v. 99.)

On dit que nous aurons des actrices l’année qui vient. Vous aurez tout le temps de mettre Eudoxie dans son cadre. Faites comme vous pourrez, mais je vous conjure de rendre Eudoxie prodigieusement intéressante, et de faire des vers qu’on retienne par cœur sans le vouloir. Ce diable de métier est horriblement difficile. Je suis tenté de jeter dans le feu tout ce que j’ai fait quand je le relis : Jean Racine me désespère. Quel homme que ce Jean Racine ! comme il va au cœur tout droit !

Je suis un bien mauvais correspondant ; les travaux et les maladies dont je suis accablé m’empêchent d’être exact, mais ne dérobent rien à la sensibilité avec laquelle je vous aimerai toute ma vie.