Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7361

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Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 140-141).
7361. — À M. DUPONT.
À Ferney, près de Versoy, 18 octobre.

Mon cher ami, le sieur Roset me paraît un virtuose. Il me mande que je suis fils d’Apollon et de Plutus ; mais, s’il ne m’envoie point d’argent, Plutus me déshéritera, et Apollon ne me consolera pas. Il dit qu’il a dépensé son argent à fouiller des mines ; mais il allonge beaucoup la mienne. Il n’est point dit dans notre marché qu’il cherchera de l’or, mais qu’il m’en donnera ; et le vrai moyen de n’avoir pas à m’en donner, c’est d’imaginer qu’il y en a dans les montagnes des Vosges. Les véritables mines sont dans ses vignes bien cultivées ; elles font de fort bon vin, qu’on vend très-bien à Bâle, où on le vendrait encore mieux s’il y avait encore un concile. Le chapitre seul de Porentruy en boit assez pour que M. Roset ait de quoi me payer.

Puisqu’il est un bel esprit, j’implore auprès de lui la protection de Bacchus, le dieu des raisins, celle d’Apollon, qui doit me donner des lettres de recommandation pour lui, et point du tout celle de Pluton, quoiqu’il soit le dieu des mines ; j’implore surtout la vôtre, qui savez ce que vaut une délégation acceptée. Je ne vis plus que de ces délégations : j’ai donné le reste à ma famille ; M. Roset doit considérer que, m’étant dépouillé de mon justaucorps et de mon manteau, il ne me reste que ma veste et ma culotte ; que s’il m’en prive, j’irai tout nu, et que je mourrai de froid l’hiver prochain. Je lui demande en grâce qu’il m’envoie ce qu’il pourra au plus tôt, et que le reste ne vienne pas trop tard.

Voici une petite lettre[1] galante que je lui écris ; je vous supplie de la lui faire tenir. Vous avez dû recevoir des paquets pour vous amuser. Père Adam gagne toujours aux échecs ; il vous fait bien ses compliments.

Je vous aime de tout mon cœur. V.

  1. Elle manque.