Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7375

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 153).
7375. — À M. DE CHABANON.
2 novembre.

Je ne sais où vous prendre, mon cher et aimable ami ; mais ce sera sans doute au milieu des plaisirs. Vous êtes tantôt à la campagne, tantôt à Fontainebleau ; et moi, du fond de ma solitude, n’étant pas sorti deux fois de chez moi depuis votre départ, ayant seulement ouï dire à mes domestiques que l’on fait la guerre en Corse, et que le roi de Danemark est en France, je vous adresse mon De Profundis à votre maison de Paris, à tout hasard.

Je ne sais si, depuis votre dernière lettre, vous avez fait une tragédie ou une jouissance. Je ne sais ce qu’est devenu l’Orphée[1] de Pandore depuis le gain de son procès contre son détestable prêtre ; j’ignore tout ; je sais seulement que je vous suis attaché comme si j’étais vivant. N’oubliez pas tout à fait ce pauvre antipode. Quand vous aurez fait des vers, envoyez-les-moi, je vous prie, car j’aime toujours les beaux vers à la folie, quoique je sois actuellement plongé dans la physique[2]. La nature est furieusement déroutée depuis que j’ai coupé des têtes à des colimaçons, et que j’ai vu ces têtes revenir. Depuis saint Denis, on n’avait jamais rien vu de plus mirifique. Cette expérience me porte fort à croire que nous ne savons rien du tout des premiers principes, et que le plus sage est celui qui se réjouit le plus.

On ne peut vous être plus tendrement dévoué que le mort V.

  1. M. de La Borde. Voyez le Supplément aux Causes célèbres, tome XVIII, page 77.
  2. Voyez l’ouvrage Des Singularités de la nature, tome XXVII, page 125.