Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7405
Monsieur le prince, je suis enchanté de votre lettre, de votre souvenir ; vous réveillez l’assoupissement mortel dans lequel mon âge et mes maladies m’ont plongé. J’ai quelquefois combattu ma langueur par des plaisanteries qui sont, à ce que je vois, parvenues jusqu’à vous ; elles m’ont valu la jolie lettre dont vous m’honorez. Je m’aperçois que certaines plaisanteries sont bonnes à quelque chose : il y a trente ans qu’aucun gouvernement catholique n’aurait osé faire ce qu’ils font tous aujourd’hui. La raison est venue ; elle rend à la superstition les fers qu’elle avait reçus d’elle.
J’ai eu l’honneur d’avoir chez moi M. le duc de Bragance, que je crois votre beau-frère ou votre oncle, et qui me paraît bien digne de vous être quelque chose. Il pense comme vous ; et il n’y a plus que des universités comme celle de Louvain où l’on pense autrement. Le monde est bien changé.
Je crois M. d’Hermenches[1] actuellement à Paris : il ne doit pas être jusqu’ici trop content de l’expédition de Corse.
Puissiez-vous, monsieur le prince, ne vous faire jamais tuer par des montagnards ou par des housards ! Vivez très-longtemps pour les intérêts de l’esprit, des grâces, et de la raison.
Agréez mon sincère et tendre respect.
- ↑ Constant d’Hermenches.