Correspondance de Voltaire/1768/Lettre 7405

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Correspondance : année 1768GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 177-178).
7405. — À M. LE PRINCE DE LIGNE.
À Ferney, 3 décembre.

Monsieur le prince, je suis enchanté de votre lettre, de votre souvenir ; vous réveillez l’assoupissement mortel dans lequel mon âge et mes maladies m’ont plongé. J’ai quelquefois combattu ma langueur par des plaisanteries qui sont, à ce que je vois, parvenues jusqu’à vous ; elles m’ont valu la jolie lettre dont vous m’honorez. Je m’aperçois que certaines plaisanteries sont bonnes à quelque chose : il y a trente ans qu’aucun gouvernement catholique n’aurait osé faire ce qu’ils font tous aujourd’hui. La raison est venue ; elle rend à la superstition les fers qu’elle avait reçus d’elle.

J’ai eu l’honneur d’avoir chez moi M. le duc de Bragance, que je crois votre beau-frère ou votre oncle, et qui me paraît bien digne de vous être quelque chose. Il pense comme vous ; et il n’y a plus que des universités comme celle de Louvain où l’on pense autrement. Le monde est bien changé.

Je crois M. d’Hermenches[1] actuellement à Paris : il ne doit pas être jusqu’ici trop content de l’expédition de Corse.

Puissiez-vous, monsieur le prince, ne vous faire jamais tuer par des montagnards ou par des housards ! Vivez très-longtemps pour les intérêts de l’esprit, des grâces, et de la raison.

Agréez mon sincère et tendre respect.

  1. Constant d’Hermenches.