Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7443

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Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 220-221).
7443. — À MADAME LA MARQUISE DU DEFFANT[1].
4 janvier 1769.

Eh bien ! madame, j’écris très-souvent quand j’ai des thèmes. Faites-vous lire la lettre de M. le marquis de Belestat, et jugez après cela si c’est avec justice qu’on m’a imputé son ouvrage. Jugez si j’ai été fidèle à l’amitié, si j’ai été offensé du mal qu’on disait de M. le président Hénault, et si je n’ai pas pris son parti beaucoup plus que je n’ai jamais pris le mien. Voilà la vérité enfin reconnue, et il faut que le président en soit instruit : j’ai cru sentir dans ses lettres qu’il me soupçonnait, je n’en ai eu que plus de zèle. Oui, madame, je suis vif, et je le serai jusqu’au dernier moment de ma vie, quand je croirai servir l’amitié et la raison.

La Bletterie est encore plus coupable que le marquis de Bélestat ; puisqu’il veut être de l’Académie, il ne devait pas outrager un homme de quatre-vingt-deux ans qui fait tant d’honneur à notre corps. Rougissez d’avoir pris le parti de ce pédant orgueilleux. Que votre petite mère ou grand’mère se repente de l’avoir protégé ! Voilà comme sont faits tous ces animaux-là. Ils croient régenter un collège, et c’est au collège qu’il faut les renvoyer. Mme la duchesse de Choiseul m’a écrit trois pages de sa main pour m’assurer l’innocence de ce janséniste. Je me repens bien d’avoir répondu gaiement, et d’avoir tourné le tout en plaisanterie. J’aurais dû lui faire connaître un méchant homme, qui abuse de sa protection pour insulter tout le monde. Comptez que La Bletterie ne vaut pas mieux que Jean-Jacques : tout cela est l’excrément du siècle. Le royaume du bon goût et de l’esprit est tombé en quenouille, je ne prétends dire une fadeur ni à vous, ni à Mme la duchesse de Choiseul. Ce n’était pas en Sorbonne que le roi de Danemark devait aller : il devait venir souper chez vous sans façon.

Je suis un de ces étrangers qui regrettent de n’avoir pas cet honneur. Mais je suis bien mieux encore. Je suis un vieux serviteur attaché à votre char depuis quarante ans, vous respectant et vous aimant de toutes mes forces.

  1. Correspondance complète de Mme du Déffant avec la duchesse de Choiseul, l’abbé Barthélémy, et M. Craufurt, publiée par M. le marquis de Sainte-Aulaire, 1859 et 1877.