Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7474

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7474. — À M. DE SUDRE,
avocat à toulouse.
6 février.

Monsieur, il se présente une occasion de signaler votre humanité et vos grands talents. Vous avez probablement entendu parler de la condamnation portée, il y a cinq ans, contre la famille sirven, par le juge de Mazamet. Cette famille Sirven est aussi innocente que celle des Calas. J’envoyai le père à Paris présenter requête au conseil pour obtenir une évocation ; mais ces infortunés n’étant condamnés que par contumace, le conseil ne put les soustraire à la juridiction de leurs juges naturels. Il craignait de comparaître devant le parlement de Toulouse, dans une ville qui fumait encore du sang de Calas. Je fis ce que je pus pour dissiper cette crainte. J’ai tâché toujours de leur persuader que plus le parlement de Toulouse avait été malheureusement trompé par les démarches précipitées du capitoul David dans le procès de Calas, plus l’équité de ce même parlement serait en garde contre toutes les séductions dans l’affaire des Sirven.

L’innocence des Sirven est si palpable, la sentence du juge de Mazamet si absurde, qu’il suffit de la lecture de la procédure et d’un seul interrogatoire, pour rendre aux accusés tous leurs droits de citoyen.

Le père et la mère, accusés d’avoir noyé leur fille, ont été condamnés à la potence. Les deux sœurs de la fille noyée, accusées du même crime, ont été condamnées au simple bannissement du village de Mazamet.

Il y a plus de quatre ans que cette famille, aussi vertueuse que malheureuse, vit sous mes yeux. Je l’ai enfin déterminée à venir réclamer la justice de votre parlement. J’ai vaincu la répugnance que le supplice de Calas lui inspirait, j’ai même regardé le supplice de Calas comme un gage de l’équité compatissante avec laquelle les Sirven seraient jugés.

Enfin, monsieur, je les ferai partir dès que vous m’aurez honoré d’une réponse. Vous verrez le grand-père, les deux filles, et un malheureux enfant, qui imploreront votre secours. Ils n’ont besoin d’aucun argent, on y a pourvu ; mais ils ont besoin d’être justifiés, et de rentrer dans leur bien, qu’on a mis au pillage. Je les ferai partir avec d’autant plus de confiance que je suis informé du changement qui s’est fait dans l’esprit de plusieurs membres du parlement. La raison pénètre aujourd’hui partout, et doit établir son empire plus promptement à Toulouse qu’ailleurs.

Vous ferez, monsieur, une action digne de vous, en honorant les Sirven de vos conseils, comme vous avez travaillé à la justification des Calas. Voici quelques petites questions préliminaires[1] que je prends la liberté de vous adresser, pour faire partir cette famille avec plus de sûreté.

  1. Elles manquent.