Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7491

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Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 271).
7491. — À M. THIERIOT.
À Ferney, le 1er mars.

Il y a non-seulement trois grandes années de différence entre vous et moi, mon cher ami ; mais il y a trente ans pour la vigueur, et surtout pour la belle maladie qui vous rendait si fier il y a quelques années, et dont peut-être vous êtes encore honoré. Pour moi, je me sens au bout de ma carrière. Quand on a vécu soixante-quinze ans, on ne doit pas se plaindre ; c’est avoir un lot assez honnête à la loterie de ce monde ; tout le monde ne peut avoir le gros lot comme Fontenelle. Je suis bien étonné même d’être parvenu à mon âge avec tant de faiblesse et tant de maux. J’ai dansé jusqu’à la fin sur le bord de ma tombe.

Si vous n’avez point lu le Lion et le Marseillois, si vous ne connaissez pas les Trois Empereurs, je pourrai vous envoyer ces rogatons, qui pourront amuser votre royal correspondant, à qui je n’écris plus depuis près d’une année.

Vous ignorez sans doute que le Rezzonico avait avant sa mort rendu à l’Église le service important de canoniser un capucin nommé Cucufin, dont on a changé le nom en celui de Séraphin : c’est un monument de bêtise qui mérite d’entrer dans vos nouvelles. On imprime, je crois, à présent l’histoire de cette canonisation ; elle est exacte et curieuse. Les capucins ont fait en Europe, à cette fête, une dépense qui va à plus de quatre cent mille écus. Vous savez que les capucins sont comme les rois, ils font payer leurs fêtes au peuple.

N’avez-vous jamais déterré une lettre qui a couru, et qui court encore, sur la mort de l’ivrogne Pierre III ? Si vous en aviez un précis, je vous prierais de me le communiquer. Ce n’est pas que je croie à ces anecdotes, mais il faut qu’un homme qui écrit l’histoire lise tout.

Avez-vous les Moyens de réformer l’Italie, ouvrage italien[1] ? Vous pourriez m’envoyer ce livre avec celui de milord Grenville, par les guimbardes de Lyon, à mon adresse à Ferney.

Je n’ai pu vous répondre plus tôt, parce que j’ai été très-malade au milieu de mes neiges.

  1. Voyez la note 2 de la page 134.