Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7521

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Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 303-304).
7521. — À M. DE SAINT-LAMBERT.
4 avril.

De la coquetterie ! non, pardieu ! mon cher confrère ou mon cher successeur ; ma franchise Suissesse n’a ni rouge ni mouches.

Quand je vous dis que votre ouvrage[1] est le meilleur qu’on ait fait depuis cinquante ans, je vous dis vrai. Quelques personnes vous reprochent un peu trop de flots d’azur, quelques répétitions, quelques longueurs, et souhaiteraient, dans les premiers chants, des épisodes plus frappants.

Je ne peux ici entrer dans aucun détail, parce que votre ouvrage court tout Genève, et qu’on ne le rend point ; mais soyez très-certain que c’est le seul de notre siècle qui passera à la postérité, parce que le fond en est utile, parce que tout y est vrai, parce qu’il brille presque partout d’une poésie charmante, parce qu’il y a une imagination toujours renaissante dans l’expression. Je déteste le fatras et le petit, et tout ce que je vois ailleurs est petit et fatras.

Qui diable vous a donné la Canonisation de saint Cucufin[2] ? Il faut que ce soit quelque capucin. On pourra bientôt me canoniser aussi, car, depuis un mois, je ne vis que de jaunes d’œufs comme saint Cucufin. J’ai eu douze accès de fièvre ; j’ai reçu bravement le viatique, en dépit de l’envie. J’ai déclaré expressément que je mourais dans la religion du roi très-chrétien et de la France ma patrie, as it is established by act of parliament. Cela est fier et honnête[3].

Ma maladie m’a empêché d’écrire à M. Grimm, mais je ne l’en aime pas moins, lui et ma philosophe Mme d’Épinai.

Je vous ai la plus sensible et la plus tendre obligation de vouloir bien engager M. le prince de Beauvau à daigner solliciter de toutes ses forces en faveur des Sirven. Votre cœur aurait été bien ému si vous aviez vu cette déplorable famille, père, mère, filles, enfants : la mère rendant les derniers soupirs en me

  1. Le poëme des Saisons.
  2. Voyez cette pièce, tome XXVII, page 419.
  3. Voltaire étant malade, dans le temps de Pâques, fit avertir le curé de Ferney de lui apporter le viatique. Le curé répondit qu’il ne le pouvait qu’après que Voltaire aurait rétracté les mauvais ouvrages qu’il avait faits. Voltaire, impatienté, lui écrivit les lettres 7511 et 7513 ; enfin le 31 mars il fit la déclaration suivante, et communia le lendemain :
    déclaration par-devant notaire, et procès-verbal.

    « Au château de Ferney, le 31 mars 1769. par-devant le notaire Raffoz, et en présence des témoins ci-après nommés, est comparu messire François-Marie de Voltaire, gentilhomme ordinaire de la chambre du roi, l’un des quarante de l’Académie française, seigneur de Ferney, etc., demeurant en son château, lequel a déclaré que le nommé Nonotte, ci-devant soi-disant jésuite, et le nommé Guyon, soi-disant abbé, ayant fait contre lui des libelles aussi insipides que calomnieux, dans lesquels ils accusent ledit messire de Voltaire d’avoir manqué de respect à la religion catholique, il doit à la vérité, à son honneur, et à sa piété, de déclarer que jamais il n’a cessé de respecter et de pratiquer la religion catholique professée dans le royaume ; qu’il pardonne à ses calomniateurs ; que si jamais il lui était échappé quelque indiscrétion préjudiciable à la religion de l’État, il en demanderait pardon à Dieu et à l’État ; et qu’il a vécu et veut mourir dans l’observance de toutes les lois du royaume, et dans la religion catholique, étroitement unie à ces lois.

    « Fait et prononcé audit château, lesdits jour, mois et an que dessus, en présence du R. P. sieur Antoine Adam, prêtre, ci-devant soi-disant jésuite, de, etc., etc., témoins requis et soussignés avec ledit M. de Voltaire, et moidit notaire. »


    autre déclaration.
    1er avril.

    « Au même château de Ferney, à neuf heures du matin, le 1er avril 1769, par-devant ledit notaire, et en présence des témoins ci-après nommés, est comparu messire François-Marie Arouet de Voltaire, gentilhomme ordinaire, etc., lequel, immédiatement après avoir reçu, dans son lit où il est détenu malade, la sainte communion de monsieur le curé de Ferney, a prononcé ces propres paroles :

    « Ayant mon Dieu dans ma bouche, je déclare que je pardonne sincèrement à ceux qui ont écrit au roi des calomnies contre moi, et qui n’ont pas réussi dans leurs mauvais desseins*.

    « De laquelle déclaration ledit messire de Voltaire a requis acte, que je lui ai octroyé en présence de révérend sieur Pierre Gros, curé de Ferney, d’Antoine Adam, prêtre, ci-devant soi-disant jésuite, de, etc., etc., témoins soussignés avec ledit M. de Voltaire, et moidit notaire, audit château de Ferney, lesdits heure, jour, mois et an. »

    *. Voltaire faisait allusion à l’évêque d’Annecy.