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Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7573

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Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 357).
7573. — À M. THIERIOT.
À Ferney, 14 juin.

Je n’ai pas été assez heureux, mon ancien ami, pour que l’ouvrage de M. de Mairan sur le feu central[1] parvînt jusque dans l’enceinte de mes montagnes de neige. Tout ce que je sais, c’est que le feu qui anime sa respectable vieillesse m’a toujours paru brillant et égal. Il me semble que M. de Mairan possède en profondeur ce que M. de Fontenelle avait en superficie. Faites-moi l’amitié de me chercher son feu central, et d’ajouter ce petit déboursé à ceux que vous avez déjà bien voulu faire pour moi.

Il y a longtemps que je suis très-certain que le feu est partout : mais je pense qu’il serait difficile de prouver qu’il y eût un foyer ardent tout au beau milieu de notre globe ; il faudrait pour cela creuser ce grand trou que proposait ce fou de Maupertuis.

À propos, puisque vous dînez avec Mme Dupin[2] et M. de Mairan, dites-leur, je vous prie, que je voudrais bien en faire autant.

Vous avez raison sur le cardinal de Bernis ; c’est lui qui a fait le pape : il fait ce qu’il veut dans Rome, il y est adoré.

Le petit magistrat m’est venu voir encore : c’est un être fort singulier ; il ne lâche point prise ; il se retourne dans tous les sens. Je vous ferai savoir de ses nouvelles dans quinze jours.

On a frappé en Angleterre une médaille de l’amiral Anson ; c’est un chef-d’œuvre digne du temps d’Auguste. Le revers est une Victoire posée sur un cheval marin, tenant une couronne de lauriers. Les noms des principaux officiers qui firent avec lui le tour du monde sont gravés autour de la Victoire, dans de petits cartouches entourés de lauriers. Cela est patriotique, brillant, et neuf : la famille me l’a envoyée en or ; elle m’a fait cet honneur en qualité de citoyen du globe dont l’amiral Anson avait fait le tour[3].

Bonsoir, mon ancien ami, qui me serez toujours cher tant que je végéterai sur ce malheureux globe.

  1. Mairan a donné, dans les Mémoires de l’Académie des sciences, plusieurs mémoires sur la chaleur, où il parle d’un fonds de chaleur paraissant venir du centre de la terre ; les derniers de ces mémoires sont dans le volume de 1765, pages 1 et 143. (B.)
  2. Bâtarde de Samuel Bernard ; voyez tome XXXVI, page 291.
  3. Voltaire avait consacré à l’amiral Anson un chapitre entier de son Précis du Siècle de Louis XV ; voyez tome XV, page 312.