Aller au contenu

Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7580

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 364-365).
7580. — À M. LE COMTE DE ROCHEFORT.
Ferney, 3 juillet.

J’ai reçu, monsieur, l’honneur de la vôtre du 25 juin. Je suis bien persuadé que le médecin Bigot[1] vous guérira un jour de cette maladie que vous appelez la Peste[2]. Votre tempérament est excellent, et je souhaite passionnément que le médecin s’affectionne à son malade. J’ai reçu quelquefois des lettres de madame Bigot[3], qui ne me paraissait point du tout embarrassée.

À propos de médecin, j’avais écrit il y a deux ans à M. de Sénac[4], sur les bontés de qui j’ai toujours compté. Il s’agissait d’un jeune homme de mes parents, mousquetaire du roi, à qui on avait fait une opération bien douloureuse. M. de Sénac me manda qu’il ne croyait pas qu’il y eût de remède ; il ne s’est pas trompé : le jeune homme est mort dans de cruelles douleurs.

Vous voyez donc quelquefois M. le duc de La Vallière ? c’est un des plus aimables hommes du monde, et qui ne laisse pas d’être philosophe. Je ne lui écris point du fond de ma solitude, mais je lui suis toujours très-tendrement attaché.

Je voudrais bien, monsieur, que vous fussiez chef de brigade dans la compagnie Écossaise[5] ; celui qui la commande n’est pas fier comme un Écossais ; mais heureux les Français qui lui ressemblent un peu ! on n’a point plus d’esprit et de raison. Je ne connais point les lettres Hébraïques ; mais, selon ce que vous me mandez, il n’y a qu’à faire lire la Bible à l’auteur pour y répondre. L’impotent convulsionnaire a mal pris son temps pour faire opérer sur lui un miracle ; la mode en est passée, le pauvre homme est venu trop tard.

Je suis bien fâché que la famille de ce pauvre Morsan soit si impitoyable. Il faut espérer que sa bonne conduite et le temps adouciront ses malheurs et le cœur de ses parents. Je lui ai dit, monsieur, de quelles bontés vous l’avez honoré ; il y est sensible comme il le doit : je vous présente ses très-humbles remerciements et les miens.

Je viens de lire l’histoire[6] dont vous me faites l’honneur de me parler. Elle est sûrement d’un jeune homme qui quelquefois a été assez modeste pour imiter mon style ; on m’a dit que c’est un jeune maître des requêtes ; mais je n’en crois rien. Quoi qu’il en soit, ceux qui m’imputent cet ouvrage sont bien injustes. Il est évident que l’auteur a fouillé dans de vieilles archives dont je ne puis avoir la moindre connaissance, étant hors de Paris depuis plus de vingt ans. Ainsi, loin de prétendre que l’auteur a dit ce que d’autres avaient rapporté avant lui, il faut avouer au contraire qu’il a avancé des choses que personne n’avait jamais dites ; comme, par exemple, les emprunts de Louis XII et de François Ier. Cela ne se peut trouver que dans des registres que je n’ai jamais vus. D’ailleurs je trouve que sur la fin il y a des expressions très-peu mesurées. M. de Bruguières[7] est fort méchant et fort dangereux. Je compte bien que vous aurez la bonté, ainsi que M. d’Alembert, de confondre la calomnie qui a la cruauté de m’imputer un tel ouvrage.

Vous connaissez mon très-tendre attachement, qui ne finira qu’avec ma vie. V.

  1. Le duc de Choiseul.
  2. Le duc de Villeroi, capitaine des gardes du corps.
  3. La duchesse de Choiseul.
  4. Cette lettre manque.
  5. La compagnie Écossaise était la première des quatre compagnies des gardes du corps. Son capitaine était le duc de Noailles ; le duc d’Ayea, son fils, avait la survivance. (B.)
  6. L’Histoire du Parlement de Paris, faisant partie des tomes XV et XVI de la présente édition.
  7. Le parlement de Paris.