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Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7579

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Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 363-364).
7579. — À MADAME LA DUCHESSE DE CHOISEUL.
Lyon, 3 juillet.

Guillemet ignore si madame la duchesse est dans son palais de Paris, ou dans son palais de Chanteloup, ou dans sa chambre de Versailles. Quelque part où elle soit, elle dît et elle fait des choses très-agréables.

Guillemet prend la liberté de lui en dépêcher qui ne sont pas peut-être de ce genre ; mais, comme elle est très-tolérante, il s’est imaginé qu’elle pourrait jeter un coup d’œil sur une tragédie où l’on dit que la tolérance est prêchée.

Monseigneur son époux le corsique aurait-il le temps de s’amuser un moment de cette bagatelle ? Guillemet en doute. Monseigneur a un nouveau royaume et un nouveau pape à gouverner, et force petits menus soins qui prennent vingt-quatre heures au moins dans la journée. Les détails me pilent, disait Montaigne[1], à ce qu’on m’a rapporté : voilà pourquoi Guillemet se garde bien d’écrire à monseigneur. Mais quand nous entendons parler de ses succès dans nos climats sauvages, notre cœur danse de joie.

Je vais bientôt, madame, quitter la typographie, avant que je quitte la vie, selon le conseil de La Bletterie. Je suis comme l’apothicaire Arnoult, qui se plaignait que l’on contrefît toujours ses sachets. Cela dégoûte à la fin du métier les typographes comme les apothicaires. Ainsi, madame, vous vous pourvoirez, s’il vous plaît, ailleurs. Il faut bien que tout finisse ; il faut surtout finir cette lettre, de peur de vous ennuyer.

Daignez donc, madame, agréer le profond respect qui ne finira qu’avec la vie de

Guillement.

P. S. Je ne sais comment je suis avec madame votre petite-fille, depuis un certain déjeuner ; je ne sais si elle aime encore les vers ; je ne sais rien d’elle.

  1. Dans ses Essais, livre III, chap. iv, 17e alinéa, Montaigne, parlant de la mort, dit : « Je la gourmande en bloc. Par le menu elle me pile. »