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Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7626

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Correspondance : année 1769GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 409-411).
7626. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
10 auguste.

Voici, mon cher ange, la copie de la lettre que j’écris à M. le duc d’Aumont[1]. S’il n’en est pas touché, il a le cœur dur ; et si son cœur est dur, son oreille l’est aussi. La musique de M. de La Borde est douce et agréable. Mme Denis, qui s’y connaît, en est extrêmement contente. C’est elle qui m’a déterminé à écrire à M. le duc d’Aumont, en m’assurant que vous approuveriez cette démarche ; mais, après avoir fait ce pas, il serait triste de reculer. J’ai fort à cœur le succès de cette affaire, pour plus d’une raison ; C’est la seule chose qui pourrait déterminer un certain voyage[2] ; d’ailleurs il serait bien désagréable pour La Borde d’avoir sollicité une grâce dont il peut très-bien se passer, et de n’avoir pu l’obtenir. En vérité, ce serait à lui qu’on devrait demander sa musique comme une grâce. Il est ridicule de présenter une vieille musique purement française à une princesse qui est entièrement pour le goût italien. Vous devriez bien mettre madame la duchesse de Villeroi dans notre parti.

Au reste, si La Borde s’adresse à la personne[3] qui est si bien avec notre premier gentilhomme de la chambre, je ne crois pas que cela doive faire la moindre peine à l’adverse partie, qui ne se mêle point du tout des opéras.

Je ne sais si La Borde est assez heureux pour être connu de vous ; c’est un bon garçon, complaisant et aimable, et dont le caractère mérite qu’on s’intéresse à lui, d’autant plus qu’il aime les arts pour eux-mêmes, et sans aucune vue qui puisse avilir un goût si respectable. En un mot, mon cher ange, faites ce que vous pourrez, et que l’espérance me reste encore au fond de la boîte.

J’espère surtout que Mme d’Argental se porte mieux par le beau temps que nous avons.

Je vous répète encore que, quoique je sois très-sûr qu’on m’a pris beaucoup de papiers, je ne veux jamais connaître l’auteur de cette indiscrétion ; et, si on accusait dans le public celui que l’on soupçonne, je prendrais hautement son parti, comme j’ai déjà fait en pareille occasion[4].

On dit que l’abbé Chauvelin se meurt, et que le président Hénault est dans les limbes ; pour moi, je suis toujours dans le purgatoire, et je me croirais dans le paradis si je pouvais vous embrasser.

  1. Cette lettre manque.
  2. Voltaire projetait un voyage à Paris.
  3. Mme Du Barry, avec qui le maréchal de Richelieu était fort bien.
  4. Voyez tome XXVII, page 17. Mais La Harpe n’avait pas dérobé le manuscrit