Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7692
Je suis très-malade, monsieur ; je ne verrai pas longtemps les malheurs des gens de lettres.
Je ne vois pas qu’on puisse rien ajouter ni répondre au factum, de M. Linguet[2].
Il me paraît que les toiliers, les droguistes, les vergettiers, les menuisiers, les doreurs, n’ont jamais empêché un peintre de vendre son tableau, même avec sa bordure. Monsieur le doyen du parlement de Bourgogne veut bien me vendre tous les ans un peu de son bon vin, sans que les cabaretiers lui aient jamais fait de procès.
Pour les gens de lettres, c’est une autre affaire ; il faut qu’ils soient écrasés, attendu qu’ils ne font point corps, et qu’ils ne sont que des membres très-épars.
En 1753, on me proposa de faire à Lyon une très-jolie édition du Siècle de Louis XIV ; une personne très-intelligente et très-bienfaisante persuada au cardinal de Tencin que c’était un livre contre Louis XIV ; le cardinal l’écrivit au roi, et j’ai vu la réponse de Sa Majesté.
La vie est hérissée de ces épines, et je n’y sais d’autre remède que de cultiver son jardin.
- ↑ M. Luneau était en procès avec les libraires, qui n’entendaient pas que les auteurs vendissent ou échangeassent leurs ouvrages. (K.)
— Luneau de Boisjermain (Pierre-Joseph-François), né à Issoudun en 1732, est mort à Paris le 25 décembre 1801.
- ↑ C’est ironiquement que Voltaire parle ainsi ; voyez le quatrième alinéa de cette lettre. Le mémoire de Linguet était intitulé Précis signifié par les syndics et adjoints des libraires de Paris. Luneau, qui avait publié un premier mémoire, en fit imprimer un second, en réponse au Précis rédigé par Linguet. (B.)