Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7699
J’applaudis à vos scrupules, monsieur, et je fais partir votre lettre. J’exhorterai mon ami à veiller toujours sur les faussaires anglais, qui, par fanatisme ou par malice, vous font écrire de longues lettres aux rois que vous n’êtes pas dans l’habitude d’ennuyer quand vous vous y mettez. M. le duc de Grafton sera très-sensible à votre hommage ; mais je doute que, dans ce moment-ci, il le rende public. Sa nation l’a pris en grippe, comme nous avions fait M. Silhouette et M. de Laverdy. À propos de ce dernier, n’a-t-il pas fait défendre, sous peine d’être pendu, d’écrire sur les matières de gouvernement. Si jamais vous faites son apologie, ce que je regarde comme très-possible à beaucoup d’égards, glissez légèrement sur ce trait, qui ne lui fait pas honneur.
Voici enfin le dessin pour les Guèbres. Il me paraît très-bien, et la gravure en sera encore plus jolie. Si vous jugez à propos que Brichet[2] la fasse, je vous prie de me le mander, en me renvoyant sur-le-champ le dessin. Vous l’auriez à la fin de la semaine. On mettrait en bas le vers de la pièce que vous jugeriez à propos. J’ai demandé à l’artiste pourquoi il avait tant tardé à vous satisfaire : il m’a répondu que ventre affamé n’a point d’imagination, que tant qu’il avait été inquiet sur son dîner, il lui était impossible de trouver dans sa tête le tour à donner aux figures. On paye quatre louis ces dessins à Gravelot, et ils ne sont pas mieux. Les gravures finies, de cette grandeur, coûtent à Paris deux louis. Je ne dis ceci, monsieur, que pour tranquilliser votre générosité ; il est convenable que l’artiste soit récompensé ; mais je voudrais bien qu’il ne s’accoutumât pas à mettre ses ouvrages à trop haut prix.
Je vous félicite, monsieur, de votre réunion avec Mme Denis[3]. Vous connaissez l’un et l’autre le tendre attachement que je vous ai voué ; il ne peut que s’accroître, et je souhaite vous en donner des preuves jusqu’au temps où tous les hommes seront sages. Voilà, si je ne me trompe, une hyperbole ; mais elle rend ce dont je veux vous convaincre.
Je joins ici un paquet que M. Pingeron[4] vient de me faire passer pour vous. Il me demande si vous voudriez accepter un exemplaire de ses ouvrages, qui tous roulent sur des choses utiles et sur les arts.
- ↑ Correspondance inédite de Voltaire avec P.-M. Hennin, Paris. 1825.
- ↑ Brichet était un dessinateur et graveur fort médiocre.
- ↑ Mme Denis, qui avait été s’établir à Paris au commencement de 1768, était revenue depuis peu à Ferney auprès de son oncle, qu’elle ne quitta plus.
- ↑ Pingeron était fort instruit dans les sciences mathématiques, et surtout dans la mécanique. Il a publié quelques ouvrages qui ont principalement pour but des améliorations dans divers objets d’utilité publique. Il a traduit les œuvres d’Algarotti et le poëme des Abeilles.