Correspondance de Voltaire/1769/Lettre 7714
Monsieur, j’ai chamaillé pendant trois ans avec mon curé et le clergé de ma petite ville pour faire transférer le cimetière hors des habitations. Je n’avais pour moi que l’intérêt public à faire valoir, et l’on sait combien il est faible dès qu’il est aux prises avec l’intérêt particulier : aussi j’avoue que si je n’eusse été encouragé par la sagesse des réflexions que vous avez publiées de temps à autre à ce sujet, et le ridicule que vous avez jeté sur l’usage opposé, je n’eusse jamais surmonté l’opiniâtre résistance de nos ecclésiastiques : il n’a pas dépendu d’eux que je ne passasse pour impie, mauvais chrétien, etc. Je viens cependant de réussir, et mon premier soin est de remercier celui à qui je reconnais que nos habitants doivent ce bienfait. J’en suis d’autant plus glorieux que j’ai vu le parlement de Paris s’arrêter, à ce sujet, aux oppositions du clergé.
C’est à vous, monsieur, que la raison doit la supériorité qu’elle prend tous les jours sur les préjugés ; mais que ses progrès sont lents lorsqu’elle attaque des pratiques superstitieuses ! La mendicité vient d’être défendue en France ; les maréchaussées ont des ordres sévères à cet égard, cependant je vois une foule de mendiants sous mes yeux mettre impunément à contribution les villes et les campagnes, et faire parade de leur oisiveté comme d’une vertu. Est-ce pour les favoriser qu’on enlève les véritables pauvres ?
J’ai l’honneur d’être, etc.