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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7754

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 532-533).
7754. — À M. ÉLIE DE BEAUMONT[1].
Ferney, 17 janvier 1770.

Mon cher Cicéron, je vois que vous réussissez à tout ce que vous entreprenez. Vous ne cessez de faire du bien ; c’est votre vocation : on ne peut mieux la remplir.

Je ne suis point étonné que M. de Gerbier ait concouru avec vous à une bonne œuvre. Le triste état de M. Durey de Morsan a dû toucher un cœur aussi noble que le sien. Je le remercierai, lui et M. Boudot, à qui nous avons tant d’obligations, et qui s’est donné tant de mouvement dans cette affaire.

Le grand point est que M. Durey soit entièrement corrigé ; qu’il achève de payer toutes ses petites dettes dans ce pays-ci ; qu’il n’en fasse jamais ; qu’il remplisse tous ses devoirs ; qu’il ait de quoi se meubler honnêtement, et qu’il continue à mener une vie décente et irréprochable, digne des personnes auxquelles il tient par la naissance et par l’alliance. S’il négligeait une seule de ces choses essentielles, il serait perdu sans ressource. Il est bien nécessaire qu’il expie par la conduite la plus mesurée les fautes dont il porte très-justement la peine.

Je crois, monsieur, que le meilleur parti est d’adresser la lettre de change de six mille livres pour mon compte à M. Scherer, banquier à Lyon ; j’en donnerai le reçu. Je payerai les dettes les plus pressantes, et j’arrangerai tout pour qu’il puisse aller passer ses jours doucement à Neuchâtel, de la manière la plus convenable. Mon reçu sera fait en son nom, et il m’en fera un pour ma décharge. Je lui ai servi de père depuis un an, et je lui en servirai encore ; mais c’est vous, monsieur, qui faites véritablement tout pour lui dans cette occasion ; c’est vous qui êtes son protecteur. Agréez encore une fois mes tendres remerciements.

Quant à Sirven je vous ai déjà mandé que je ne sais plus où en est son affaire. Je n’ai nulle nouvelle de lui, et j’ai bien peur qu’il ne s’en tienne au premier jugement qui le délivre de la prison et qui le fait rentrer dans son bien. C’est un bon et honnête homme ; mais sa tête est un peu capricieuse, et ses deux filles sont un peu folles : il faut prendre les gens comme ils sont.

Vraiment, je serai enchanté de voir tous les mémoires que vous voulez bien m’envoyer. Vous savez avec quel plaisir je les lirai. Je m’intéresse à vos clients plus qu’à Cluentius et à Roscius, défendus par votre ancien camarade.

Il y a longtemps que je connais l’affaire du sieur Beck : je crois vous avoir mandé que j’arrivai à Strasbourg quelques jours après son aventure. Je ne sais pas bien précisément quel était le degré de sa probité ; mais je sais qu’il avait affaire à un grand fripon.

Je compte bien que vous ferez aussi triompher pleinement M. de La Luzerne. L’innocence opprimée est très à son aise avec vous.

Mme Denis et moi, nous remercions bien sensiblement Mme de Canon de ses bontés ; nous vous sommes inviolablement attachés l’un et l’autre pour toute notre vie.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.