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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7761

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 538-539).
7761. — À M. ÉLIE DE BEAUMONT.
À Ferney, le 24 janvier.

Mon cher Cicéron, je reçois les papiers que vous avez eu la bonté de m’envoyer. Vous voyez bien qu’il n’y a la qu’un ménage de gâté. J’entends fort mal les affaires ; mais je ne crois pas que la sentence du lieutenant civil, qui ordonne qu’on enfermera chez des moines, par avis de parents, un fils de famille[1], en cas que le roi lui rende la liberté, puisse subsister après dix ans, quand le père et la mère sont morts, quand le fils de famille est père de famille, quand il a cinquante-trois ans, quand sa mère s’est opposée à cette étonnante sentence et l’a l’ait son légataire universel.


Ma foi, juge et plaideurs, il faudrait tout lier.

(Racine, les Plaideurs, acte I, scène viii.)

J’ignore encore si l’homme aux cinquante trois ans ne ressemble pas aux nèfles, qui ne mûrissent que sur la paille. Je me suis chargé par pitié de deux personnes fort extraordinaires : l’une est cet original, l’autre est une nièce de l’abbé Nollet, qui lui est attachée depuis quatorze ans[2], et qu’on va tâcher de marier.

L’affaire principale est d’achever de payer le peu de dettes contractées dans ce pays par le sieur interdit, de procurer audit interdit des meubles, et de ne lui pas laisser toucher un denier, attendu que je suis prêt à signer avec les parents qu’il a la tête un peu légère avec l’air posé d’un homme capable.

Je vous supplie très-instamment, mon cher Cicéron, de me donner des nouvelles positives des deux mille écus, afin que je prenne des mesures justes, et qu’après l’avoir


Alimenté, rasé, désaltéré, porté[3]


pendant un an, on ne m’accuse pas d’avoir la tête aussi légère que lui.

Point de nouvelles de Sirven, sinon qu’il est à Toulouse, et qu’on veut y jouer les Guèbres. Autre tête encore que ce Sirven ! Le monde est fou.

Mille tendres respects à vous et à Mme de Canon, à vous les deux sages, et les deux sages aimables.

  1. Durey de Morsan, alors âgé de cinquante-trois ans ; voyez tome XLV, page 500.
  2. Voyez page 240.
  3. Vers du Joueur, acte III, scène iv.