Aller au contenu

Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7781

La bibliothèque libre.
Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 557-558).
7781. — DE M. HENNIN[1].
Genève, le 10 février 1770.

Vous connaissez sans doute déjà, monsieur, ce qui s’est passé hier ici[2]. En tout cas, le porteur pourra vous en dire quelque chose. On a arrêté Auzière[3], et fait enlever ses papiers. J’entends dire qu’il y avait beaucoup de vos lettres. Sans doute on va faire beau bruit de cette correspondance. Je crois, au reste, que la voix publique ne sera pas pour ceux qui ont engagé le conseil à faire prendre les armes contre des gens qui n’avaient sûrement pas envie d’attaquer puisqu’ils ne se sont pas même défendus. Au premier moment où je serai libre, j’aurai l’honneur de vous voir. Je ne mande rien à monsieur le duc sur ce qui vous touche, parce que je n’en vois pas l’utilité, et que je ne le sais qu’imparfaitement. Ce ministre se soucie fort peu de toutes les querelles genevoises, et je les vois aussi tranquillement que lui. Il me fâche seulement que nous ne nous soyons pas mis en état d’en profiter, car les pauvres natifs, battus, bafoués et désormais réduits à un état pire que celui qu’ils supportaient à peine, ne resteront vraisemblablement pas dans leur hargneuse patrie.

Vous connaissez mon tendre et inviolable dévouement.

Mes respects, je vous prie, à Mme Denis.

  1. Correspondance inédite de Voltaire avec P.-M. Hennin ; Paris, 1825.
  2. Le parti des représentants s’était fait appuyer, dans ses réclamations, par les natifs, qui formaient une partie considérable de la population de la ville. Ceux-ci, qui avaient déjà obtenu quelques droits par l’acte de médiation de 1738 : élevèrent de nouvelles prétentions. Plusieurs d’entre eux s’étaient enrichis, et avaient acquis de l’influence. Ils voulurent exposer leurs demandes dans un mémoire que le conseil ne leur permit pas de présenter. Ils annoncèrent alors le projet de s’emparer du pouvoir par la force. Enfin, le 10 février 1770, le conseil, informé qu’ils devaient, dans la soirée, chercher a se rendre maîtres de la ville, ou feignant de le croire, ordonna une prise d’armes, et réussit a les prévenir. Trois natifs furent tués ; les autres furent soumis ou quittèrent la ville. On ferma leurs principaux cercles, et leurs chefs, au nombre de huit, furent bannis. Plusieurs de ces émigrés s’établirent à Ferney et à Versoy. (Note de Hennin fils.)
  3. Georges Auzière, un des chefs des natifs. Il fut porté le premier sur la liste des huit bannis. Voyez la note précédente.