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Correspondance de Voltaire/1770/Lettre 7783

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Correspondance : année 1770GarnierŒuvres complètes de Voltaire, tome 46 (p. 559-560).
7783. — À M. ÉLIE DE BEAUMONT.
16 février.

J’ignore, mon cher Cicéron, si les désordres de Genève permettront que ma lettre aille jusqu’à la poste. Les bourgeois tuèrent hier trois habitants, et l’on dit, dans le moment, qu’ils en ont tué quatre ce matin. Les battus payent l’amende dans la coutume de Lori ; mais, dans la coutume de Genève, les battus sont pendus, et l’on assure qu’on pendra trois ou quatre habitants dont les compagnons ont été tués. Toute la ville est en armes, tout est en combustion dans cette sage république : il y a quatre ans qu’on s’y dévore.

Nos philosophes ont vraiment bien pris leur temps pour faire l’éloge de ce beau gouvernement ! Cela ne m’empêche pas de prendre un vif intérêt à l’horrible aventure des Perra[1]. Vous pouvez, mon cher Cicéron, m’envoyer votre mémoire en deux ou trois paquets, par la poste, adressés à Ferney par Lyon et Versoy.

Je n’entends pas plus parler de ce pauvre entêté de Sirven que s’il n’avait jamais eu de procès criminel.

À l’égard de l’interdit démarié, j’ai écrit à M. de Jardin, greffier en chef du Châtelet, son tuteur, que je ne me chargerais des deux mille écus qu’a condition que toutes les dettes criardes qu’il a faites dans ce pays-ci, et toutes les dettes de bienséance et d’honneur, seraient préalablement acquittées ; que je lui ferais acheter un lit et quelques meubles, afin qu’il pût reparaître d’une manière décente et honorable dans le pays de Neuchâtel, et que le frère de madame l’intendante de Paris ne fit point de honte à sa famille dans les pays étrangers. J’ai laissé en dépôt, chez M. Delaleu, les deux mille écus, et je ne ferai rien sans être autorisé de son tuteur. Je crois devoir cette attention à sa famille. J’espère que, moyennant les arrangements que je prendrai, et moyennant les cinq cents francs qu’il touchera par mois dorénavant, somme qui augmentera toutes les années, il pourra se donner la considération que doit avoir un homme si bien allié. Il ne peut réparer ses fautes passées que par la plus grande sagesse.

Je vous supplie, monsieur, de parler à messieurs les avocats de la commission, si vous les rencontrez, et à M. Boudot, en conformité de ce que j’ai l’honneur de vous mander.

Permettez que je vous donne ma bénédiction en qualité de capucin. J’ai non-seulement l’honneur d’être nommé père temporel des capucins de Gex, mais je suis associé, affilié à l’ordre, par un décret du révérend père général. Jeanne la Pucelle, et la tendre Agnès Sorel, sont tout ébaubies de ma nouvelle dignité.

Mille respects et mille bénédictions à Mme de Beaumont.

  1. Voyez tome XVIII, page 276.